Naufrage en Grèce : deux versions s’affrontent sur les raisons du drame
Que s’est-il vraiment passé dans la nuit du 13 au 14 juin ? Deux jours après le naufrage d’un bateau qui pouvait transporter jusqu’à 750 personnes au large de la Grèce, les premiers témoignages des rescapés viennent contredire la version jusque-là diffusée par les autorités grecques.
Des témoignages contradictoires
« Différentes sources sur le terrain indiquent qu’avant que le navire chavire, une corde avait été tendue entre le chalutier et un bateau des garde-côtes hellénistiques et que c’est suite à cette manœuvre que le bateau aurait chaviré », affirme à La Croix ce 16 juin Vincent Cochetel, représentant du Haut-Commissariat aux réfugiés de l’ONU (HCR) en Méditerranée occidentale et centrale. Plus grave encore, « les témoignages disent que la corde visait non pas à tirer le bateau vers la côte mais à le faire sortir de la zone de sauvetage grecque », ajoute-t-il. Une accusation extrêmement grave dans un contexte où les garde-côtes grecs sont accusés depuis plusieurs années de pratiquer des refoulements illégaux, terrestres mais aussi maritimes.
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C’est jusqu’ici une tout autre version qu’avaient livrée les autorités grecques. Dans un communiqué publié le 14 juin, les services du premier ministre avaient indiqué que, suite aux indications d’une bénévole d’une ONG, le bateau avait été repéré par hélicoptère le 13 juin à 15 h 35 puis que des contacts réguliers ont été établis. « Lors de chacun de ces contacts, le navire a constamment répété qu’il souhaitait naviguer vers l’Italie et qu’il ne voulait aucune aide de la part de la Grèce », indique le communiqué. Des navires marchands acheminant de l’eau et de la nourriture ont cependant été dépêchés.
Il est ensuite indiqué qu’à 01 h 40 le 14 juin, l’occupant du navire de pêche a informé « qu’il y avait une défaillance dans le moteur ». La flottille des garde-côtes grecs s’est alors approchée. Puis, « à 2 h 04, le capitaine de la flottille L.S. a informé le centre des opérations qu’il avait vu le bateau de pêche virer sur tribord, puis sur bâbord, et enfin sur tribord, au point de chavirer » puis de couler complètement en « dix à quinze minutes ».
Quelle responsabilité des garde-côtes ?
Mais aucune mention d’une corde n’est alors faite. Ce n’est que le vendredi 16 juin qu’un porte-parole du gouvernement a expliqué que « les gardes-côtes se sont rapprochés du bateau, ils ont jeté une corde pour le stabiliser, mais les migrants ont refusé l’aide », selon l’AFP. « Ils disaient « No help, Go Italy » (« pas d’aide, on va en Italie »), a-t-il ajouté. Pour sa part le porte-parole de la police portuaire Nikolaos Alexiou a souligné qu’on ne pouvait « pas remorquer un bateau avec un si grand nombre de gens à bord par la force, il faut qu’ils coopèrent ». Mais, dans ces déclarations datées du 16 juin, rien n’indique que cette corde aurait pu être destinée à éloigner le bateau des côtes.
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Il reviendra donc à l’enquête d’établir l’éventuelle responsabilité des gardes-côtes grecs dans ce naufrage à proprement parler. Mais aussi dans le choix de ne pas secourir les passagers avant le drame. « Cette tragédie n’aurait pas dû arriver car on aurait dû porter assistance à ce bateau qui était à l’évidence en détresse comme chacun a pu le voir sur la photo prise par les garde-côtes grecs. Elle montre que les personnes sont entassées les unes sur les autres », indique pour sa part François Thomas, président de l’ONG SOS Méditerranée, qui depuis 2016 porte secours aux embarcations en détresse en Méditerranée.
Le bateau était en situation de détresse
Pour lui, le droit maritime laisse peu de doute sur le fait que le bateau était clairement dans une situation de détresse. « La Convention internationale de 1979 définit la détresse comme une situation dans laquelle il y a lieu de penser qu’une personne ou un navire sont en danger grave et imminent », détaille-t-il. Une définition précisée par l’article 9 du règlement européen 656-2014, qui prend en compte des critères humanitaires, comme l’état des passagers, la présence de femmes et d’enfants, de réserves d’eau et de nourriture, et des critères de navigabilité, comme le nombre de personnes à bord, qui correspondent en bien des points au bateau naufragé.
Or, selon une convention de 1974, tout capitaine de navire qui reçoit une information indiquant des personnes en détresse en mer est tenu de se porter « à toute vitesse » à leur secours. La convention de 1970 oblige même les États à s’assurer qu’une assistance peut être octroyée à toute personne en détresse en mer.
Un devoir d’assistance
Mais le fait de refuser une aide peut-il exonérer les garde-côtes de ce devoir d’assistance ? « On nous dit qu’ils ont refusé toute aide, mais qui est on ?, reprend François Thomas. Je ne sais pas qui a pu considérer qu’il y avait un véritable capitaine en responsabilité de ce navire. Et puis des personnes ont appelé une ONG à l’aide. » De plus, poursuit-il, « un règlement de 2014 dit que lorsqu’un navire est considéré en situation d’alerte mais que les personnes refusent toute assistance, le bateau porté à son approche doit en informer le centre de coordination du sauvetage, suivre ses instructions et s’acquitter de son devoir de vigilance en prenant toute mesure nécessaire à la sécurité des personnes. »
Reste la question de la difficulté d’un tel sauvetage. « Ce type de sauvetage est excessivement complexe, confirme François Thomas. Il faut à la fois donner confiance aux personnes à bord et avoir une grande autorité pour qu’ils vous obéissent sans céder à la panique qui peut faire chavirer le bateau. La première chose à faire est de distribuer des gilets de sauvetage car si 400 personnes tombent à l’eau, on ne peut pas les repêcher toutes très vite. » Toutefois, assure-t-il, « les équipes de SOS Méditerranée ont déjà fait un sauvetage de plus de 700 personnes. Il n’y a de toute façon pas le choix : il faut le tenter car il s’agit de vies humaines. »
Source: La Croix