Énergies renouvelables : les dessous d’un compromis difficile entre la France et l’Allemagne

June 17, 2023
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Le déploiement des énergies renouvelables en Europe va s'accélérer de manière phénoménale. C'est du moins l'objectif très ambitieux de la directive RED III contre laquelle Emmanuel Macron luttait pour préserver le recours à l'énergie nucléaire, face à une vaste offensive allemande mais aussi espagnole. Le compromis auquel sont parvenus les diplomates, vendredi 16 juin, à Bruxelles peut inspirer un certain scepticisme : l'UE se donne pour objectif de relever à 42,5 % d'ici à 2030 la part des énergies renouvelables dans sa consommation globale.

Un effort redoublé en moins de dix ans, puisque la part actuelle est de 22 % dans toute l'Europe… Cet objectif, plus politique que réellement étayé par une étude réaliste de la faisabilité, devient contraignant juridiquement. La France militait pour 40 %. Elle s'aligne sur les prétentions les plus hautes soutenues par l'Allemagne ou l'Espagne. Ces deux États, très volontaires, pourront même pousser le curseur à 45 % si bon leur semble. Ce qui fera autant d'efforts en moins à accomplir pour les autres…

17 stades de football de panneaux solaires par jour

Pour rendre les choses plus concrètes, cela correspond au déploiement de dix-sept terrains de football de panneaux solaires… par jour ! Ou, seize éoliennes érigées sur terre et quatre en mer, par jour… Le tout devant procurer, selon cette image utilisée par Sven Giegold, le secrétaire d'État allemand à l'Action climatique, une puissance de 100 gigawatts issus du solaire et de l'éolien.

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La vraie difficulté pour la France résidait dans le sous-objectif de la directive RED III concernant la décarbonation de l'industrie. Ici, l'énergie verte, c'est l'hydrogène qui se substituerait au gaz. Les Allemands refusaient de considérer comme « vert » l'hydrogène produit à partir de l'électricité d'origine nucléaire. Berlin redoute que la France, profitant de son parc nucléaire, néglige ses objectifs en matière d'énergie renouvelable, comme si les deux chantiers – extension du parc nucléaire et du parc éolien – étaient incompatibles. Or, il n'y a rien de plus faux : les équipes dédiées ne sont pas les mêmes.

Les Espagnols en embuscade

En outre, la France n'accuse aucun retard au regard de l'Allemagne. La part du renouvelable dans la consommation finale a suivi une courbe parallèle des deux côtés du Rhin. En 2021, la France se paie même le luxe d'être très légèrement devant l'Allemagne… Robert Habeck, le ministre allemand de l'Économie et du Climat, a été un peu surpris quand, lors d'une négociation, Agnès Pannier-Runacher, la ministre française de la Transition énergétique, lui a montré ce graphique. Certes, la France n'a pas atteint les 23 % promis (par Jean-Louis Borloo en 2007 contre l'avis de son administration), mais elle n'a pas décroché par rapport à l'Allemagne.

Pendant des mois, ce point de fixation a envenimé la relation entre Paris et Berlin. Emmanuel Macron et le chancelier Olaf Scholz s'en sont entretenus à plusieurs reprises, notamment lors d'un petit-déjeuner en marge d'un Conseil européen, le 23 mars. Les Espagnols campaient, plus discrètement, sur les positions allemandes. Pour eux, le nucléaire français est un rival de leurs propres atouts énergétiques et ils comptent bien devenir une puissance exportatrice d'hydrogène vert (issu des énergies renouvelables).

Une dérogation pour les usines d'ammoniac françaises

La présidence suédoise, au milieu de ce champ de tir, a produit une première proposition de compromis le 30 mars. Inacceptable pour la France. Les pourparlers se sont prolongés pendant encore deux mois et demi et ont finalement abouti, vendredi soir. Pour sortir de cette impasse, l'Élysée a cherché une troisième voie : ni avaler le compromis suédois sans broncher ni partir au combat la fleur au fusil. La France a un problème spécifique avec l'ammoniac, dont la synthèse pour les engrais et la chimie est issue de l'hydrogène fossile. Exiger de passer à l'hydrogène vert aurait été trop coûteux. La France a donc obtenu une dérogation au niveau européen pour les usines d'ammoniac qui seront exclues du calcul des sous-objectifs industriels. Elle pourra donc utiliser le nucléaire pour décarboner ce pan de notre industrie. En échange de quoi, Paris consent aux objectifs très ambitieux de la directive RED III sur les renouvelables. Ce compromis est « supportable », selon Sven Giegold.

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Prochaine étape : il faut que le compromis soit validé par le Parlement européen. A priori, la majorité parlementaire devrait y être favorable. Pour que les objectifs de RED III se concrétisent, la délivrance des permis de construire des éoliennes doit être prodigieusement accélérée. La simplification de la réglementation a été engagée depuis plusieurs années. En 2018, il fallait compter entre sept et neuf ans pour qu'un projet de parc éolien aboutisse. En Allemagne, il faut compter entre trois et quatre ans, et c'est encore trop long. Les recours en justice, très nombreux, annulent en partie les efforts de simplification réglementaire.

La Commission déclinera ensuite les objectifs État par État. Agnès Pannier-Runacher compte bien, à ce moment-là, que la Commission prenne en compte les efforts de décarbonation déjà accomplis par la France. « Il n'y a aujourd'hui aucune feuille de route qui indique qu'on est collectivement capable de réaliser ces chiffres-là, soulignait-elle lors d'un entretien avec Le Point, début mai. Si on veut vraiment les atteindre, la Commission va devoir aligner les mesures d'accompagnement. » Donc affecter les fonds du plan RepowerUE.

Source: Le Point