Contraception : cette génération qui n'avale plus la pilule
Entre scandales sanitaires et effets secondaires, les hormones de synthèse font peur aux jeunes, qui envisagent d'autres méthodes. Et si la contraception était un nouvel enjeu d'égalité femmes-hommes ?
Juliette, Elisea et Léonie ont entre 18 et 20 ans. Étudiantes, elles se présentent dans la vie comme féministes. Elles appartiennent à une génération ultraconnectée, éclairée sur bien des sujets de société, remettant en question des acquis gagnés par d'autres : la génération Z (née entre 1997 et 2010). Et, contre toute attente, la contraception reste pour elles, comme pour beaucoup de jeunes, un sujet épineux. Le terrain d'une injonction contradictoire : comment se protéger d'une grossesse indésirée sans mettre en danger sa santé ? Biberonnées par les scandales sanitaires et les récits de violences obstétricales et gynécologiques, elles boudent les cabinets des gynécologues. Selon une étude Ifop datant d'octobre 2022, 31 % des 18-24 ans n'ont jamais consulté de professionnel de santé gynécologique, 70 % des 25-34 ans ont déjà renoncé à des soins gynécologiques. Et, contrairement à leurs parents, la pilule est loin d'être leur phare dans la nuit en matière de contraception.
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«Autour de nous, on s'aperçoit bien que la pilule monopolise l'espace de discussion… C'est vraiment grâce aux réseaux sociaux que j'ai pu m'informer sur les différents types de pilules, sur les effets négatifs des hormones, sur ce qu'est un stérilet et tout… Personnellement, je n'ai pas envie d'imposer ça à mon corps», nous dit Juliette, 19 ans. «J'utilise un seul moyen de contraception, le préservatif masculin. On m'a parlé d'autres solutions, mais je n'ai pas fait l'effort de m'informer sur le sujet. Je vais prendre un rendez-vous avec une sage-femme, car je sais qu'il faut un deuxième moyen de contraception, mais je n'ai pas envie de prendre la pilule et je ne comprends pas pourquoi ça m'incomberait plus qu'à mon mec», ajoute Léonie, 20 ans, reprenant un discours que l'on voit beaucoup sur les réseaux sociaux et dans la bouche des jeunes femmes de sa génération.
Quelles alternatives ?
«Depuis fin 2012, après la plainte de Marion Larat (victime d'un grave AVC à la suite d'une prise d'une pilule) contre le laboratoire Bayer et la publication de son ouvrage, La pilule est amère (Éd. Stock), après la véritable tempête médiatique puis médicale qui a suivi, les retentissements sur l'approche de la contraception par les femmes ont été importants, soulève Bérengère Arnal-Morvan, gynécologue auteure de Pilule ou pas pilule ? (Éd. Thierry Souccar). En 2010, 40 % des femmes françaises de 15 à 54 ans utilisaient une contraception oestroprogestative (COP), contre 33 % en 2016 et 28 % en 2020. Cela correspond à une chute de 12 points en dix ans», souligne-t-elle.
Dans la vie d'une femme, je préconise de prendre le moins d'hormones de synthèse et le moins longtemps possible Bérengère Arnal-Morvan, gynécologue
Dans son livre comme dans sa pratique, la gynécologue constate ce virage, et le fait que ces mêmes jeunes femmes surinformées sur le risque de la pilule ne le sont pas forcément sur les différents types de contraceptifs et sur leur efficacité. «Dans la vie d'une femme, je préconise de prendre le moins d'hormones de synthèse et le moins longtemps possible (arbitrairement, de 5 à 10 ans) en raison des nombreux effets secondaires.» Pourquoi ? «Les toutes jeunes filles fument de plus en plus tôt, or pilule et tabac ne font pas bon ménage. Pour les jeunes filles, je conseille le préservatif masculin avec la précaution qu'il soit correctement utilisé : il protège d'une grossesse et de la majorité des IST, hormis les virus HPV (human papillomavirus) et l'herpès génital. Il protège de la transmission du sida, de la syphilis et des hépatites, de la gonococcie également, ce que ne fait pas la pilule.»
Mais la médecin voit aussi un autre écueil dans la prescription de pilules aux toutes jeunes filles, moins souvent évoqué dans le cabinet du gynécologue par gêne, méconnaissance, ou parce qu'il n'y a pas non plus consensus sur la question : la possibilité que la contraception oestroprogestative provoque des effets secondaires sur la libido après des mois voire des années de prise. Mais évidemment, l'arrêt de la pilule «automatique», telle qu'on la pratiquait il y a trente ou quarante ans, pose aussi d'autres problèmes pour les jeunes femmes.
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Dans un quartier populaire du Havre, en Normandie, Stéphanie Barbier est sage-femme. Elle reçoit dans son cabinet une patientèle très diversifiée, touchée par un déficit de gynécologues sur le territoire. Et elle constate que les jeunes ont beaucoup plus tendance que leurs aînées à demander des poses de stérilets en cuivre (sans hormones) : «C'est bien quand un automatisme comme la prescription de la pilule est questionné pour des raisons de santé publique, qui plus est si intimes. Le problème, c'est que le stérilet peut être compliqué, invasif, inconfortable, sujet à des infections pour de très jeunes filles. Le problème, c'est encore que la pilule a beaucoup d'effets positifs à mettre en balance avec les effets indésirables. C'est la méthode la plus efficace contre les grossesses non désirées, elle réduit les douleurs liées aux endométrioses, l'inconfort ressenti par les personnes touchées par des règles très abondantes ou des cycles irréguliers. Elle permet aux personnes d'avoir plus de liberté. Aujourd'hui, il y a beaucoup de jeunes patientes coincées dans un conflit entre composer avec les symptômes de l'endométriose ou s'exposer aux effets indésirables des hormones.»
Le risque d'une grossesse
La professionnelle de santé bataille tous les jours pour apporter le maximum d'informations à ses jeunes patientes, pour qu'elles puissent faire un choix éclairé : «Je pars du principe qu'on explique, et que la femme dispose. Mais que ce soit chez les jeunes ou les moins jeunes, personne en réalité parmi elles ne connaît le tableau d'efficacité des contraceptifs, personne ne sait vraiment que pilule, stérilet, préservatif ou spermicide ne sont pas équivalents. Or, sans pilule, on reste toujours susceptible de se retrouver dans une situation très compliquée.» Réseaux sociaux ou non, Stéphanie Barbier déplore que les informations sur les droits reproductifs ou la santé sexuelle restent, encore aujourd'hui, très largement méconnues par les jeunes, laissées souvent sans filet dans la nature.
Ces très jeunes femmes se retrouvent lâchées dans la nature au moment où elles vont construire leur intimité Stéphanie Barbier, sage-femme
«Les jeunes patientes, hyperfertiles donc, ignorent toujours qu'il arrive – même si c'est rarissime – de se trouver enceinte sans pénétration (si, par exemple, avant la mise en place du préservatif, il y a déjà eu une petite sécrétion de liquide séminal lors des préliminaires, NDLR). Elles ne connaissent toujours pas le fonctionnement de leur corps, se retrouvent encore avec des partenaires qui refusent de porter des préservatifs ou qui le retirent au milieu de l'activité sexuelle, elles continuent de me dire “je n'ai pas osé dire non” et à demander une pilule du lendemain (qui n'est pas efficace à 100 %)… Bref, il y a beaucoup de travail. Et on ne peut pas traiter la contraception sans aborder le consentement.»
Selon elle, le public le plus à risque reste celui des 18-23 ans, qui ont pris des distances avec les cours de SVT du collège et qui ont quitté le domicile parental (à noter que la mère prend en charge le chapitre sur la vie sexuelle avec sa fille dans les deux tiers des cas, selon la sociologue Yaëlle Amsellem-Mainguy). «Ces très jeunes femmes se retrouvent lâchées dans la nature au moment où elles vont construire leur intimité, explorer, faire des tests», poursuit Stéphanie Barbier. Bérengère Arnal-Morvan s'en alarme aussi : «Il faut remarquer qu'il n'existe aucun suivi sur les jeunes filles ayant recours à la contraception d'urgence (40 % des 15-24ans selon une étude de l'Insee de 2013, NDLR).»
La pilule masculine, un mirage ? C'est une Arlésienne : la pilule contraceptive pour les hommes. Dès 1939, des travaux évoquent la possibilité d'une contraception masculine hormonale. Depuis la fin des années 1970, il existe une contraception hormonale à destination des hommes, validée par l'OMS, peu connue. Le docteur Jean-Claude Soufir, andrologue à l'hôpital Cochin, à Paris, est l'un des premiers à s'être penché sur le sujet et à l'avoir prescrite, à la suite de groupes de parole nés dans les années 1975-1978. Elle n'est pas administrée sous la forme d'une pilule, mais sous la forme d'une injection hebdomadaire d'énanthate de testostérone et suppose des délais entre le début du traitement et les effets contraceptifs, deux précisions qui sont rédhibitoires pour le marché pharmaceutique. Plusieurs méthodes restent toujours à l'étude, sous forme de gel, entre autres.
Charge contraceptive
«Si je devais choisir un moyen de contraception, je partirais sur les capotes… ou bien je demanderais à me faire couper les trompes, et je ne suis pas la seule», affirme Elisea. Chaque année, les médecins reçoivent davantage de demandes de stérilisation pour des jeunes femmes nullipares, touchées par l'endométriose, par les effets secondaires des pilules ou ne souhaitant pas porter d'enfants. Ces opérations ne sont prises en charge que par une vingtaine de praticiens sur le territoire. Les journalistes Clémentine Gallot et Caroline Michel se sont aussi penchées sur la question de la charge contraceptive dans leur ouvrage, La Charge sexuelle (Éd. First). Elles ont constaté combien la société laisse encore aux femmes la responsabilité de la contraception, tout comme celle de la fertilité, alors même qu'elles ne sont fertiles que quelques jours par mois pendant une quarantaine d'années et que les hommes le sont 100 % du temps, de la puberté à la vieillesse.
Le rôle sanitaire dans le couple hétérosexuel reste attribué aux femmes, le corps féminin reste très médicalisé, contrairement à celui des hommes Clémentine Gallot
«Ce sont souvent les femmes qui font des tests de dépistage avant l'arrêt d'une contraception type préservatif, par exemple. Ce sont elles encore qui achètent les préservatifs. Le rôle sanitaire dans le couple hétérosexuel reste attribué aux femmes, le corps féminin reste très médicalisé, contrairement à celui des hommes, qui ne consultent pas dans les cabinets d'urologues ou d'andrologues, et qui donc ne prennent pas les choses en main», souligne Clémentine Gallot. À l'heure où les jeunes générations sont attentives au partage des tâches, les hommes de la génération no pilule, par empathie pour l'autre sexe, vont-ils permettre d'équilibrer la charge contraceptive ? Certains jeunes hommes en sont tout à fait convaincus. Selon une enquête 20 Minutes-OpinionWay de 2021, 8 vingtenaires sur 10 estiment normal de partager davantage la responsabilité et la charge mentale de la contraception. Plus concrètement, 37 % des hommes de 18-30 ans seraient prêts à recourir à une pilule contraceptive masculine avec les mêmes effets secondaires que les équivalents féminins, 22 % pourraient envisager une vasectomie, et 12 % se disent prêts à tester le slip chauffant (cette technique consiste à bloquer la formation des spermatozoïdes par le port d'un slip spécial porté 15 heures par jour).
Bon à se rappeler ou à savoir Sex Education, sur Netflix, a publié un manuel bien fait et drôle sur la sexualité et la contraception (téléchargeable en ligne, notamment sur Le Planning familial reste l'acteur numéro 1 de l'information contraceptive (numéro vert, 0800081111, et @planningfamilial). La série, sur Netflix, a publié un manuel bien fait et drôle sur la sexualité et la contraception (téléchargeable en ligne, notamment sur violences-sexuelles.info ). La page @slowcontraception sur Instagram donne accès à des informations, des vidéos et des témoignages sur la contraception masculine.
Ces derniers mois fleurissent en France des ateliers de couture DIY de slips chauffants réservés aux hommes. Le dessinateur Bobika* en organise en Dordogne et à Marseille, il est aussi l'auteur de la bande dessinée Le Cœur des zobs (Éd. Mâtin) retraçant son appréhension de cette méthode thermique, qu'il utilise depuis 2016. Le dessinateur avait commencé à évoquer son cheminement sur sa page Instagram : «Avant de parler du slip contraceptif, je touchais plus les 25-35 ans, mais désormais j'ai plus d'abonnements chez les 18-25, dit-il. Dans les ateliers de fabrique de slips chauffants, on a beaucoup plus de jeunes qui arrivent pour participer au parcours contraceptif, comprendre et maîtriser leur fertilité, se connaître soi-même.» Une méthode gratuite, facile, sans effets secondaires… qui a été popularisée dès les années 1970 par des collectifs d'hommes féministes, comme l'Ardecom, soucieux de faire de la contraception l'affaire de tous et toutes. Cinquante ans après, un mode de contraception idéal et plébiscité par tous et toutes reste encore à trouver.
* Bobika sortira en septembre un jeu de cartes sur la contraception masculine, les images de la virilité, les moqueries…
Source: Le Figaro