Marsatac, à Marseille : faire du bruit sans faire de bruit, le défi des festivals de villes
Les riverains du parc Borély se mobilisent pour que le festival Marsatac baisse le volume de ses concerts, en vertu du “décret son”. Une réglementation jugée inapplicable par les organisateurs, qui testent de nouvelles solutions.
Béatrice Desgranges, la directrice de Marsatac, a organisé des réunions de médiation et des visites du site du festival avec les habitants du quartier pour trouver un compromis concernant les nuisances sonores. Photo Agi-son
Par Dialla Konaté Partage
Envoyer par email
Copier le lien
Ce samedi 17 juin, au parc Borély, les jeunes Marseillais sont venus en nombre pour profiter du soleil et des concerts de la deuxième journée du festival Marsatac. Cette 25e édition accueille le gratin des musiques actuelles françaises, à l’instar de la chanteuse Aya Nakamura, des rappeurs Gazo et Tiakola, du duo Ascendant Vierge ou encore du DJ Folamour. Tandis que sur la scène principale le rappeur STLR enchaîne les punchlines, dans l’espace pro du festival se tient une réunion au sommet. La directrice, Béatrice Desgranges, a réuni élus locaux, riverains et représentants du secteur musical afin de présenter une expérimentation sonore « dont les enjeux concernent l’ensemble de la profession ».
Accompagné par l’association Agi-son, spécialisée dans la gestion sonore et la préservation de la santé auditive, Marsatac déploie un système de sonorisation inédit en France. L’objectif : réduire les nuisances sonores tout en garantissant une qualité de son optimale pour les festivaliers. Pour y arriver, les équipes techniques ont cherché à contenir la propagation du son en « travaillant la directivité grâce à des lignes d’annulation », explique Nicolas Legendre, directeur technique de l’événement. Une dizaine de caissons, des « subs », sont alignés à soixante-dix mètres des scènes pour absorber le son et tenter d’amoindrir sa diffusion au-delà de ce périmètre. « Il a fallu multiplier le matériel par deux et créer un système sonore directionnel à partir de machines non directionnelles », détaille Béatrice Desgranges. L’avenir du festival pourrait bien être conditionné à l’efficacité de ces lignes d’annulation.
À lire aussi : Au KM25, un nouveau sound-system qui respecte ses voisins
Comme de nombreux festivals en ville, Marsatac se déroule à moins de deux cents mètres d’un quartier résidentiel. Et depuis deux ans, c’est la cacophonie entre les riverains du parc Borély et l’équipe de l’événement. Les premiers reprochent aux organisateurs de ne pas respecter les trois « décibels d’émergence » qu’impose le « décret son », soit le niveau sonore perçu dans l’environnement. Le festival rétorque que ce niveau est difficilement tenable pour les événements musicaux se déroulant en plein air. Les musiques hip-hop et électro, particulièrement chargées en basses fréquences, émettent au minimum un niveau d’émergence entre cinq et sept décibels.
Entre les deux parties, la ville de Marseille ne sait sur quel pied danser, soucieuse de maintenir la qualité des concerts dans l’espace public mais également de préserver la tranquillité de ses habitants. « La ville soutient cette expérimentation et la finance à hauteur de 20 000 euros. Nous souhaitons en tirer un cahier des charges qui s’appliquerait à l’ensemble des événements du parc Borély. Il est urgent de trouver un usage apaisé de la musique en ville », énonce l’adjoint à la culture de la cité phocéenne, Jean-Marc Coppola.
Les enceintes correspondent à la ligne d’annulation du son pour limiter l’émergence sonore du concert sur le voisinage. Photo Agi-son
Épargnés par la première version du décret son, élaboré en 1998 par les ministères de la Santé, de l’Environnement et de la Culture, les festivals de plein air sont, depuis 2017, soumis aux mêmes niveaux sonores que les concerts en lieux clos (96 décibels sur 15 minutes d’exposition) et doivent mesurer le niveau de décibels « en tout point accessible au public ». « C’est absurde ! En plein air, on n’a pas de murs, on ne peut pas retenir le son de la même manière que dans une salle de concert », déplore la directrice d’Agi-son, Angélique Duchemin.
Alors pour tenter d’être en conformité avec une « réglementation sonore complexe, éloignée de la réalité des festivals », la directrice de Marsatac multiplie les gages de bonne foi envers le voisinage : elle a déplacé l’une des quatre scènes, initialement située près d’un immeuble, mis une clause dans le contrat des artistes pour qu’ils s’engagent à réduire le volume de leur retour, organisé des réunions de médiation et des visites du site du festival avec les habitants du quartier.
« C’est insuffisant », estime Jean-Pierre Chiaroni. Le retraité de 73 ans, président d’un collectif de riverains, est à l’initiative d’une pétition ayant récolté plus de six cents signatures pour exiger que Marsatac baisse le volume. « Nous n’avons rien contre ce festival, mais notre quartier, situé près des plages, est particulièrement fréquenté lors de la saison estivale. Nous sommes donc les premières victimes des nuisances sonores et des incivilités. » Le collectif a mis en demeure la mairie et la préfecture pour qu’elles fassent appliquer le décret son, mais n’a pas encore entamé de procédure administrative contre Marsatac. Signe que le festival et ses voisins peuvent encore accorder leurs violons ?
Les résultats de cette expérimentation seront présentés à la ministre de la Culture en novembre, dans le cadre des Perspectives sonores. Si une baisse significative des nuisances sonores est constatée, l’objectif sera alors de « décrocher des aides ainsi qu’un plan de formation conséquent pour améliorer et étendre ce dispositif aux trois mille festivals musicaux du pays », espère Angélique Duchemin.
Source: Télérama.fr