Électricité : "Pourquoi RTE risque de nous envoyer dans le mur"
FIGAROVOX/TRIBUNE - Dans une étude, publiée le 7 juin dernier, le gestionnaire du réseau électrique français RTE prévoit d'augmenter massivement la part d'électricité dans notre consommation énergétique. Mais cette ambition se heurte à plusieurs problèmes, estime Bernard Kasriel et Gérard Buffière.
Bernard Kasriel est ex-directeur général de Lafarge;Gérard Buffièreest ex-directeur général d'Imerys.
Notre mix énergétique futur reste défini par la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) 2019-2023. Un processus législatif non lancé doit aboutir en 2023 à une nouvelle PPE. Depuis, Emmanuel Macron a opéré une volte-face, annonçant une forte relance du nucléaire.
Le Réseau de transport d'électricité (RTE) avait été chargé d'élaborer des scénarios, permettant d'atteindre une décarbonation de toutes nos énergies en 2050. «Futurs énergétiques 2050» est le seul document disponible pour réfléchir à la prochaine PPE.
Mettre en œuvre les bouleversements décrits dans ces scénarios en moins de 30 ans est très court : 2050 c'est demain. RTE prévoit une électrification profonde de toute l'économie, l'électricité passant de 25% de notre consommation énergétique totale à 55% en 2050.
À lire aussiPourquoi la consommation d'électricité va augmenter beaucoup plus vite que prévu en France
L'électricité deviendra notre colonne vertébrale énergétique ; mais ce n'est pas une énergie comme les autres : elle ne peut pas se stocker en grandes quantités ; il faut donc qu'à tout moment production égale consommation. Mais les possibilités d'approvisionnement en électricité sont limitées aux pays voisins par la capacité des lignes de transport électrique. Ce sont deux rigidités fondamentales, très différentes du gaz et des carburants.
Tous les scénarios de RTE sont fondés sur une consommation française toutes énergies de 930 Twh en 2050 contre 1.600Twh en 2019. RTE compte pour cela sur des progrès technologiques et sur la «sobriété» de tous les acteurs.
RTE en déduit une consommation électrique «de référence» de 645 Twh en 2050, soit environ 40% de plus qu'aujourd'hui ! L'Allemagne, elle, prévoit un doublement de cette consommation électrique d'ici à 2045. La Commission Européenne anticipe, elle aussi, un doublement.
Compter structurellement sur une dépendance aussi importante de voisins, eux-mêmes en profonde transformation, est une dangereuse faiblesse. Bernard Kasriel et Gérard Buffière
On mesure ainsi l'ambition (ou l'irréalisme ?) du scénario de référence de RTE. C'est folie de caler notre capacité électrique future sur ce seul scénario, sans une forte marge de sécurité. Plusieurs études sérieuses prévoient d'ailleurs une consommation en 2050 de 850/900Twh.
Tous les scénarios de RTE comptent sur la possibilité d'importer à tout moment jusqu'à 39GW, soit l'équivalent de 60% de notre capacité nucléaire.
Compter structurellement sur une dépendance aussi importante de voisins, eux-mêmes en profonde transformation, est une dangereuse faiblesse.
Enfin tous les scénarios de RTE reposent largement sur éolien et solaire, solutions dont la part importée est considérable et largement imprévisible en coût.
Au total, la souveraineté énergétique que propose RTE est très dégradée par rapport à notre situation actuelle, déjà précaire. Enfin les scénarios de RTE fourniront-ils l'électricité la plus compétitive d'Europe ?
Notre production électrique doit avoir une puissance garantie, appelable à tout moment, proche des pointes de consommation. Tous les scénarios de RTE ont une part importante de la capacité future assurée par des sources d'énergie renouvelables, intermittentes et non pilotables, éoliennes et solaires.
Ces sources ne produisent pas quand on en a besoin mais quand il y a du vent ou du soleil, avec une forte variabilité. De ce fait, elles ne peuvent garantir de capacité ; elles doivent être appuyées par des sources pilotables, nucléaires ou thermique-gaz. À l'évidence il est inutile de s'appuyer sur du nucléaire, déjà décarboné, et de l'arrêter lorsque le vent souffle ou que le soleil brille.
Pour augmenter notre capacité garantie, il faut donc construire aussi de nouvelles centrales au gaz, un comble !
C'est ce qu'a fait massivement l'Allemagne après sa décision de sortie du nucléaire.
« Futurs énergétiques 2050 » nous prépare un pays qui risque de manquer gravement d'électricité et à la souveraineté énergétique affaiblie. Bernard Kasriel et Gérard Buffière
Un système central à gaz, éolien et solaire est très coûteux en investissements ; le prix de revient de son électricité est beaucoup plus élevé qu'un nucléaire futur.
Il ne s'agit pas là de théorie ; l'Allemagne s'est engagée massivement dans cette voie. Le pays devra multiplier par cinq ses capacités renouvelables installées pour un simple doublement de sa production : on imagine sans peine le prix que devront payer nos voisins pour leur électricité.
La France envisagerait-elle ainsi de se priver de l'avantage que son modèle éprouvé lui donnait avec un prix d'électricité historiquement très bas ?
«Futurs énergétiques 2050» nous prépare un pays qui risque de manquer gravement d'électricité en 2050 ou avant, à la souveraineté énergétique affaiblie et handicapé par un coût de l'électricité défavorable au pouvoir d'achat de tous et à la compétitivité de l'industrie.
Il est urgent que le gouvernement prenne conscience de ce désastre annoncé, même modifié par les annonces d'Emmanuel Macron, et propose en 2023 une PPE réaliste, ambitieuse et compétitive.
Source: Le Figaro