Procès Fortin : « S'il ressort un jour, il voudra terminer le boulot »... Le « rescapé

June 19, 2023
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De notre envoyée spéciale à Valence (Drôme)

Parfois, la vie ne tient pas à grand-chose. Bertrand Meichel, à l’aube de la soixantaine, est venu le rappeler longuement lundi devant la cour d’assises de la Drôme, où Gabriel Fortin est jugé pour assassinat et tentative d’assassinat. Le « rescapé » du « tueur de DRH », le miraculé, c’est lui. « J’étais condamné à mort », rappelle-t-il au moment d’évoquer cette soirée cauchemardesque. Mais le destin en a décidé autrement. « C’est un carton à pizza qui m’a sauvé la vie et rien d’autre », appuie-t-il au terme d’un récit détaillé.

Le 26 janvier 2021, l’accusé, coiffé d’une casquette et la bouche recouverte d’un masque chirurgical, se rend dans la petite commune de Wattwiller (Haut-Rhin). Il est environ 18h45 lorsqu’il se pointe à sa porte. Ce jour-là, Bertrand Meichel travaille de chez lui et se trouve en pleine conférence téléphonique. Le bruit de la sonnette l’extirpe de la réunion. Dehors, la nuit est déjà tombée. La neige, aussi.

« J’ai ouvert et j’ai vu un livreur de pizza. Je me suis dit qu’il cherchait sûrement quelqu’un d’autre puisque je n’avais rien commandé. » Pourtant, l’homme lui demande de confirmer son identité. Ce qu’il fait machinalement, sans comprendre que le piège s’est déjà refermé. Sous le carton à pizza qu’il brandit d’une main, Gabriel Fortin tient un pistolet à l’horizontale. Et tire. La balle passe à moins de dix centimètres de l’épaule du directeur pour venir se loger à proximité de la serrure de la porte d’entrée.

« S’il avait tenu son pistolet à la verticale, je ne serai pas là »

« S’il n’y avait pas eu de carton à pizza, s’il avait tenu son pistolet à la verticale, je ne serai pas là cet après-midi », raconte avec émotion l’intéressé devant une salle médusée. Tout est allé très vite. Bertrand Meichel n’a pas reconnu le bruit de la détonation. Il a même « pensé à un pétard ». « J’ai rapidement eu la conviction qu’il me voulait du mal. Il est resté stupéfait pendant deux secondes puis a détalé en courant. »

La victime se lance à ses trousses, en chaussettes sur le bitume recouvert de flocons. « On a commencé à se battre. C’était assez rude, il m’a très fortement blessé à la tête. Mes lunettes étaient cassées. Puis, j’ai senti un bout de son vêtement ou peut-être la couture de la fermeture éclair de son blouson qui se déchirait. Et il a réussi à se dégager. » Fortin file jusqu’à sa voiture de location dans laquelle il se barricade. Mais le DRH n’abdique pas. « Même si la portière était fermée à clé, je voulais le faire sortir. Comme il n’arrivait pas à mettre la clé dans le contacteur, j’ai donné des coups sur la vitre. Je pensais bêtement qu’elle allait se briser. »

L’accusé réussit à démarrer tandis qu’une des portières s’ouvre dans la précipitation. Dans un dernier élan, Bertrand Meichel tente de le rattraper. En vain. Epuisé, à bout de souffle, la tête couverte de plaies et les côtes fracturées, l’homme finit par « lâcher l’affaire ». « J’avais du sang qui coulait dans les yeux, je ne voyais plus rien. Je n’arrivais pas à lire la plaque d’immatriculation, je l’ai laissé partir… », confesse-t-il, la voix teintée de regrets.

« Ingérable » et « fort caractère »

Ce soir-là, Bertrand Meichel n’a pas reconnu son agresseur qu’il avait licencié quinze ans auparavant. A l’époque, le jeune DRH venait de prendre ses fonctions. « Quand je suis arrivée dans cette entreprise, Gabriel Fortin avait déjà été embauché », se souvient-il. Recruté depuis un peu moins d’un an, l’ingénieur ne fait pas l’affaire. Ses supérieurs hiérarchiques se plaignent de lui. « Ingérable », « fort caractère », « incapable de travailler en équipe », « incompétence professionnelle », soulignent-ils à son sujet, tandis que ses collègues retiennent l’image d’un homme « insignifiant » ayant « des histoires avec tout le monde ».

« Ses responsables voulaient que je le licencie pour faute grave, ce que je n’ai pas fait », atteste le DRH. Mais au terme d’un entretien de 2h30, le 16 août 2006, Gabriel Fortin sera congédié pour faute, sans avoir été mis à pied, ni avoir écopé du moindre avertissement. De là à nourrir un sentiment d’injustice et déclencher cette vengeance meurtrière quinze ans plus tard ?

« M. Meichel, vous sentez-vous responsable, questionne le président de la cour d’assises. Je vous rassure, vous ne l’êtes pas, évidemment. Mais avez-vous pu ressentir de la culpabilité ? » Sourire gêné en guise de réponse. « Aujourd’hui, une partie de moi se sent responsable », lâche d’une voix étranglée l’intéressé. Appuyé contre le pupitre, Bertrand Meichel ne parvient pas, cette fois, à retenir ses sanglots. Silence dans le prétoire. L’homme souffle pour reprendre ses esprits. « Je m’en veux de ne pas avoir réussi à l’arrêter ce soir-là. Cela aurait permis d’éviter les deux décès survenus à Valence. »

« Qu’attendez-vous de la justice ? », rebondit le magistrat. « S’il est condamné à une peine de sûreté de 22 ans, il ressortira quand j’aurais bientôt 80 ans… Je vais devoir vendre ma maison et me planquer car j’ai l’intime conviction que, si Gabriel Fortin ressort un jour de prison, il reviendra pour terminer le boulot. » Le verdict est attendu le 30 juin. L’accusé encourt la réclusion criminelle à perpétuité.

Source: 20 Minutes