" Asteroid City " : une communauté de cœurs brisés en quête de sens

June 20, 2023
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Midge Campbell (Scarlett Johansson), dans « Asteroid City », de Wes Anderson. POP. 87 PRODUCTIONS/FOCUS FEATURES

L’AVIS DU « MONDE » – À NE PAS MANQUER

Il y a un peu plus d’un an, avec The French Dispatch (2021), le dandy texan Wes Anderson rendait hommage à la presse écrite américaine et se rêvait rédacteur en chef d’un film foisonnant, où la mise en scène accomplissait un fantasme de mise en page. Tourné dans la foulée, marquant en cela une accélération inédite dans la carrière du cinéaste, Asteroid City convoque, quant à lui, la tradition scénique, et pas n’importe laquelle : le théâtre psychologique de l’après-guerre, qui déferla à Hollywood avec des figures telles que Joshua Logan (Picnic, Arrêt d’autobus), Elia Kazan (Un tramway nommé désir, Sur les quais) ou Richard Brooks (La Chatte sur un toit brûlant).

A cette école qui introduisit le jeu d’acteur moderne se réfère donc ouvertement un film se déroulant sur deux niveaux : dans une petite localité inventée pour les besoins d’une pièce et dans les coulisses de la fabrication de celle-ci. The French Dispatch était un film sur l’écriture ; Asteroid City en sera un sur le théâtre, prenant à bras-le-corps la question de l’acteur et de l’incarnation.

La scène s’établit en 1955, dans le désert de l’Ouest américain. Asteroid City est une petite ville poussée à proximité d’un cratère creusé par la chute d’une météorite, depuis transformé en site touristique. Autour de la route rectiligne qui traverse les lieux, on décompte un diner flanqué d’un garage, un lot de bungalows, une rampe d’accès autoroutière jamais terminée et, au loin, quelque champignon sporadique d’essai nucléaire.

Mélancolie diffuse

Chaque année, les élèves du pays affluent en bus pour participer à un concours d’inventions scientifiques. Augie Steenbeck (Jason Schwartzman), photoreporter de guerre, y débarque avec son garçon, Woodrow (Jake Ryan), petit inventeur dit « Brainiac » (« le cerveau »), et ses trois fillettes, à peine relevés du décès de leur mère. Il y fait la rencontre de Midge Campbell (Scarlett Johansson), star hollywoodienne fraîchement divorcée, qui occupe le bungalow voisin. Au cours de la cérémonie, un alien descendu d’une soucoupe s’invite inopinément pour dérober l’astéroïde. Ce qui vaut à tout ce petit monde, dès le lendemain, d’être immobilisé par l’armée, qui verrouille le site sur-le-champ.

A la folle agitation de The French Dispatch succède donc ce théâtre horizontal d’attente et d’immobilité, où tout fonctionne comme en modèle réduit. Dans cette plaine nue et presque absurde, Wes Anderson réunit une petite communauté de cœurs brisés (et l’un de ces castings faramineux dont le cinéaste a le secret : Tom Hanks, Tilda Swinton, Willem Dafoe, Margot Robbie, Matt Dillon, etc.), des êtres endeuillés auxquels manque tous quelque chose ou quelqu’un. Le récit en couleurs chatoyantes est entrelardé d’encarts « méta » en noir et blanc, où l’on suit les étapes de fabrication du spectacle. A l’auteur (Edward Norton) et au metteur en scène (Adrien Brody), il arrive d’avouer que le sens de la pièce leur échappe. C’est qu’Asteroid City résiste à la tentation de la fable, à laquelle il préfère un vertige pirandellien : une myriade de personnages en quête de sens, perdus quelque part entre scène et coulisses, suspendus dans la mise en abyme.

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Source: Le Monde