Liban : avec l’arrivée de Jean-Yves Le Drian, Paris s’active pour une sortie de crise
En arrivant ce mercredi 21 juin à Beyrouth, Jean-Yves Le Drian marchera dans les pas de nombreux prédécesseurs, qu’ils aient été en mission d’amitié comme Maurice Couve de Murville au début de la guerre civile en 1975, envoyé spécial comme Jean-Claude Cousseran, en mission de bons offices comme Claude Guéant en 2010 et Bernard Kouchner, alors chef de la diplomatie, ou plus récemment émissaire comme Patrick Durel, conseiller d’Emmanuel Macron pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient, en 2020.
C’est avec la casquette d’« envoyé personnel » du président français que l’ex-ministre de la Défense et des Affaires étrangères, nommé le 7 juin, doit rencontrer des responsables politiques libanais lors de cette première mission. Le haut diplomate de 75 ans en connaît déjà beaucoup, mais la liste de ses entretiens n’est pas connue, ni même la durée de son séjour dans ce pays sans président de la République depuis le 31 octobre 2022 et la fin du mandat de Michel Aoun.
Résoudre la question de la succession à la présidence
L’incapacité politique à élire son successeur, après douze tours électoraux au Parlement, n’est pas l’unique problème du Liban, ravagé par la crise économique et financière depuis l’automne 2019. Aujourd’hui, 80 % de sa population vit sous le seuil de pauvreté, alors que la livre libanaise a décroché de 98 % face au dollar.
Liban : comment est élu le président de la République ?
Présenté comme un grand connaisseur de la région et des pays du Golfe, Jean-Yves Le Drian prend le relais de la cheffe de la diplomatie Catherine Colonna, qui l’a reçu le 16 juin pour le briefer sur ses contacts lors d’un récent voyage en Arabie saoudite et au Qatar. La nomination de cet « envoyé personnel » est perçue comme une manière pour la France de revenir sur le scénario privilégié jusqu’à il y a peu par Paris.
Cette piste, quoique démentie par la diplomatie française, consistait à appuyer la candidature au poste de président de Sleiman Frangié, soutenu par le Hezbollah et Damas, alliée à celle d’un premier ministre réformateur pro-saoudien. Une hypothèse inenvisageable pour les partis chrétiens et le camp aouniste, qui ont soutenu le 14 juin, lors de la 12e séance électorale le responsable régional du FMI et réformateur, Jihad Azour, en vain.
L’activisme d’Emmanuel Macron agace au Liban
La question du blocage libanais était également au cœur du déjeuner de travail entre Emmanuel Macron et le prince héritier saoudien Mohamed ben Salmane, vendredi 17 juin. Riyad conserve en effet une influence très importante au Liban et figure parmi les potentiels bailleurs de fonds à même de participer à son redressement financier. Les deux leaders ont acté le fait que l’absence d’exécutif restait « l’obstacle majeur à une résolution de la sévère crise économique », selon un communiqué publié par l’Élysée. Jean-Yves Le Drian n’était toutefois pas présent lors de cette rencontre.
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Depuis 2020 et notamment l’explosion au port de Beyrouth le 4 août, Emmanuel Macron affiche son activisme dans le dossier libanais, comme ses prédécesseurs, Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy. Les Libanais l’avaient d’ailleurs chaleureusement salué le 31 août 2020 lors de sa visite - la première d’un dirigeant européen dans la capitale après la catastrophe. Mais au fil des initiatives et de ses déclarations appelant notamment à la « refondation d’un ordre politique nouveau », le président français n’est pas parvenu à faire bouger les lignes. Il a en revanche suscité un certain agacement du côté des Libanais.
Des interférences étrangères « de plus en plus décomplexées »
Comment dès lors, Jean-Yves Le Drian pourra-t-il manifester l’intérêt de la France et tenter de « faciliter une solution consensuelle et efficace » sans que cela soit vécu comme une forme d’ingérence ? « Les puissances étrangères ont rarement été aussi présentes dans le processus présidentiel libanais. Elles l’ont certes été tout au long de l’histoire du Liban, qui n’a jamais été véritablement un pays souverain. Maisces interférences sont de plus en plus marquées, décomplexées, ce qui fait que les Libanais ont le sentiment d’être complètement dépossédés de leur souveraineté, constate l’analyste Karim Bitar. Mais on a en même temps le sentiment que les puissances étrangères ne parviennent pas à dicter ou à imposer la solution qu’il leur semblait pertinente car elles se heurtent à des rébellions des acteurs locaux. »
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Interrogé sur la visite de Jean-Yves Le Drian et leur probable rencontre, le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, a indiqué dans une interview au quotidien L’Orient-Le Jour qu’il ne s’attendait « pas à quelque chose de très extraordinaire », estimant que « le problème réside chez les protagonistes locaux ». Et d’ajouter : « Je doute qu’une prochaine percée soit opérée à ce niveau. Sauf si la France et l’Arabie saoudite pressent l’Iran de pousser le Hezbollah à assouplir sa position. Ce qui est improbable. »
Source: La Croix