Jérôme Fourquet : " Des catholiques s’inquiètent que l’écologie devienne une nouvelle religion "
La Croix : Le sondage mené par l’Ifop auprès des catholiques pratiquants révèle qu’ils sont plus engagés que la moyenne des Français sur les questions écologiques. Est-ce une surprise ?
Jérôme Fourquet : Il faut replacer cette information dans un phénomène plus global et observé de longue date, qui est que les catholiques pratiquants sont plus investis dans la vie de la cité que la moyenne des Français. C’est très visible lorsque l’on s’intéresse à la participation aux élections ou à l’engagement associatif. Quand on est chrétien pratiquant, on a davantage chevillé au corps cette notion d’association, d’implication dans des actions dans la société, comme si un « supplément d’âme » nous rendait plus disponible, plus prompt à l’engagement.
C’est un marqueur philosophique et culturel des catholiques, et il est logique que la question climatique soit aussi concernée. Mais on remarque aussi que cette culture de la mobilisation se heurte ici à un désemparement, on ne sait pas trop par où commencer. Cela se traduit par un grand investissement du changement individuel, des pratiques, mais avec une difficulté à faire le lien avec l’action collective.
Le sondage montre que, si l’Église produit un discours écologique, il semble peu infuser…
J. F. : Si on prend la question de savoir si c’est le rôle de l’Église de parler d’écologie, 52 % des catholiques pratiquants répondent « oui ». On a donc un peuple catholique coupé en deux. Tous reconnaissent – à l’image du reste des Français – qu’il y a un sujet, mais une partie considère que ce n’est pas le combat de l’Église. Ils conçoivent leur action écologiste sur un plan très personnel : en tant que chrétien, je suis le sel de la terre, je dois en faire davantage. Ils se disent ainsi très disposés et volontaires pour changer, reconnaissent qu’ils aimeraient et pourraient en faire plus.
Mais pour la moitié d’entre eux, ce n’est pas le rôle de l’institution. Il faut bien rappeler que l’Église est une institution qui a 2 000 ans, et ces questions écologiques ne sont portées dans le débat public de manière massive que depuis dix, quinze, vingt ans maximum, c’est un nouveau champ d’exploration spirituel et intellectuel. Un public catholique assez âgé reste attaché à une Église qui s’exprime sur quelques grands thèmes : l’amour du prochain, la lutte contre l’exclusion, voire dans certains milieux contre des évolutions bioéthiques. Celui de l’environnement leur paraît moins évident, même si les plus pratiquants ou de jeunes catholiques écolos ont déjà conscientisé les liens entre foi et convictions écologistes. Mais même parmi ceux qui attendent de l’institution un engagement fort, ils le projettent surtout dans des actions au niveau de la paroisse, beaucoup moins dans une dimension plus spirituelle ou théologique.
L’engagement écologique des catholiques semble se doubler d’une forme de peur face à certains discours écologistes…
J. F. : Ces discours, souvent les plus radicaux, s’attaquent à des éléments constitutifs de la vision du monde des catholiques, notamment des plus pratiquants, qui adhèrent aux dogmes. Quand on remet en cause la centralité de l’homme dans la Création, remise en cause portée par certains courants écolos, les catholiques ont du mal à suivre. Le sondage traduit leur inquiétude que l’écologie devienne une nouvelle religion. Ils peuvent en être d’autant plus persuadés qu’ils voient de quelle manière le mouvement écologiste s’empare des références chrétiennes.
J’avais été très frappé au moment du premier confinement, par certaines tribunes, sur le thème de « la revanche du pangolin », cet animal devenant une forme de bras armé de dame nature venu châtier les êtres humains qui s’étaient mal comportés avec la nature. C’est l’arc narratif exact du prêche du père Paneloux dans La Peste de Camus. Les humains ayant péché, Paneloux explique que la peste les accable afin qu’ils expient leurs péchés. C’est sidérant de voir la symétrie de ces discours. Mais ce n’est guère étonnant, il n’y a qu’à observer les rangs des militants écologistes pour constater que beaucoup viennent d’un tissu chrétien : de José Bové à Cécile Duflot en passant par la maire de Poitiers, Léonore Moncond’huy.
Il y a des influences, mais peut-on vraiment parler d’une concurrence ?
J. F. : Certains chrétiens peuvent le vivre comme un remplacement. Les Français ne font plus guère le Carême, au moment où EELV formule des recommandations : manger moins de viande, des légumes bio et de saison… Historiquement, très peu de courants politiques ont pris position sur l’alimentation. Les interdits ou les injonctions alimentaires, c’était le propre des religions. Aujourd’hui, l’écolo qui se respecte, il fait Carême toute l’année ! Les incendies en Amazonie ont évoqué aux commentateurs des comparaisons avec les portes de l’enfer, et quand un agriculteur passe en bio, on parle de conversion. On entend aussi parler des « sanctuaires » de biodiversité. Chez les catholiques encore pratiquants, les influences chrétiennes de ces discours sont reconnues immédiatement.
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Source: La Croix