Mads Mikkelsen : "Les films qui affichent leur “morale 2023”, non merci"

June 23, 2023
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Il est libre, Mads. Il ose tout. Jouer les méchants dans Indiana Jones et des rôles complexes dans les films d'auteur. Un grand écart qui lui permet de se réinventer sans cesse, avec brio.

Ennemi de James Bond dans Casino Royale (2006), scientifique rusé dans Rogue One : A Star Wars Story (2016), bad guy dans Doctor Strange (2016) et dans Les Animaux fantastiques (2022), rival d'Indiana Jones dans le dernier Indiana Jones et le cadran de la destinée*… : en une quinzaine d'années, Mads Mikkelsen s'est taillé une place à part dans le cœur du grand public international en prêtant son sourire carnassier aux vilains (et autres personnages secondaires) des plus grandes sagas à succès. Les cinéphiles les plus pointus ne lui adresseraient pas même un regard si, de ce côté de l'Atlantique, l'acteur danois n'était pas l'un des interprètes les plus audacieux de sa génération, encensé pour sa capacité à jouer le bourreau et la victime avec la même nuance, plébiscité par des auteurs singuliers.

Nicolas Winding Refn le révèle dans Pusher (1996), Arnaud des Pallières lui permet de décrocher une nomination au César du meilleur acteur en 2014 avec Michael Kohlhaas (2013), et Thomas Vinterberg le magnifie en instituteur injustement accusé de pédophilie dans La Chasse (prix d'interprétation à Cannes en 2012) et en enseignant en crise dans l'oscarisé Drunk (2020).

On peut trouver de la magie dans n'importe quel film Mads Mikkelsen

Mads le magnétique

Mads Mikkelsen, c'est l'entertainment pop-corn qui côtoie le cinéma d'auteur, la cash machine à laquelle l'intelligentsia pardonne la trahison hollywoodienne, le charisme noir associé à une charmante désinvolture… Et l'homme le plus sexy du Danemark, selon de nombreux sondages. Magnétique serait plus juste. Ce jour-là, au Festival de Cannes où il présente Indiana Jones hors compétition, son charisme intimide. Mais quelques minutes seulement : le comédien venu du froid brise rapidement la glace en répondant sans détour sur son statut à Hollywood. «Mon accent a évidemment aidé pour les rôles de méchants. Ça les rassure de penser que le mal vient de l'extérieur», nous répond-il de son célèbre sourire ourlé.

«J'étais très heureux en Scandinavie, mais comment refuser James Bond, qui, sans que je ne le cherche, m'a lancé aux États-Unis ? Je n'ai jamais rien planifié, et je sais que je passerai de mode outre-Atlantique. En attendant, j'en profite : on peut trouver de la magie dans n'importe quel film.» Qui plus est dans Indiana Jones, saga qu'il dévorait en cassette avec son frère, Lars, dans sa jeunesse, à Copenhague. Dans ce cinquième chapitre, il est le nazi, ennemi indissociable de l'aventurier. «Peut-être y a-t-il un manque d'imagination des studios : quand ils vous aiment dans un film qui a marché, ils veulent reproduire la recette. Pour eux, je suis le bad guy ! L'approche est radicalement différente en Europe : un réalisateur vient vous chercher en espérant se démarquer, vous réinventer.» Et «Mad Mads» (Mads le fou, son surnom) de s'adapter avec aisance, quel que soit l'univers.

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De la danse au cinéma

Cette souplesse, il la doit à son parcours plus fortuit que prémédité. Enfant, élevé par un père employé de banque et une mère infirmière, il ne rêve pas de cinéma. «Je ne pensais qu'au sport. J'adorais les enjeux dramatiques des compétitions… Mon côté acteur en devenir.» Il pratique le handball, le tennis, le basket et surtout la gymnastique, qui le conduit à la danse. Ce sera son métier pendant huit ans. «Je n'aimais danser que lorsque j'incarnais une émotion, une histoire à laquelle je pouvais m'identifier. La seule quête esthétique m'ennuyait.»

Il glisse alors vers le théâtre, décroche des premiers rôles et rencontre son alter ego, le réalisateur Nicolas Winding Refn, qui le propulse skinhead dans Pusher (1996). En dix ans, il devient une superstar dans son pays. «Ma notoriété s'est envolée, et cela s'est accentué avec les productions américaines et la série Hannibal (2013), de Bryan Fuller (qu'il retrouvera bientôt pour Dust Bunny, NDLR). Mais j'ai toujours tenté de mener une vie normale, sans penser à mon image ou au star-système.»

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Star anticonformiste

Vivre à Hollywood n'a, par exemple, jamais été une option. Quand les majors frappent à sa porte, ses deux enfants nés en 1992 et 1997 de son histoire d'amour avec sa femme chorégraphe sont scolarisés. Il refuse de les déraciner. «La célébrité n'est qu'une conséquence de mon métier, pas une fin en soi. Elle ne doit pas tout conditionner.» Y compris sa liberté d'expression. S'il fuit les réseaux sociaux qu'il juge réducteurs, l'acteur garde une parole débridée en interview. «Par peur d'être grillé, on a tendance à se censurer. Mais je refuse de céder à la parano, de vivre dans un monde où la pensée serait limitée, aseptisée. Aujourd'hui, la nuance n'est plus tolérée, on la trouve suspecte. Il faut condamner, juger, nourrir la controverse. C'est dangereux : la pensée unique, quelle qu'elle soit, n'a jamais eu d'issue heureuse. L'époque n'est pas facile. On cherche à tout politiser, y compris le cinéma. Ça me fatigue.»

Je refuse de céder à la parano, de vivre dans un monde où la pensée serait limitée, aseptisée Mads Mikkelsen

Des rôles complexes

Les films à message, très peu pour lui. Tourner avec une réalisatrice n'est pas non plus un argument. «Ce qui m'intéresse, c'est l'humain et les histoires qui interrogent mon système de pensée, d'où qu'elles viennent. Mais les films qui affichent leur “morale 2023”, ou travailler avec une réalisatrice parce que c'est bien vu, non merci. Homme ou femme, ce n'est pas la question. C'est bon ou ça ne l'est pas, point barre.» En prise avec son époque, il reconnaît néanmoins les injustices dont sont victimes ses consœurs. «L'inégalité est criante : à 80 ans, on accepte que Harrison Ford joue encore l'aventurier. Mieux, on le réclame, on trouve ça cool et, en effet, ça l'est. Mais une femme de son âge n'aurait jamais une telle opportunité. Pourtant, quand Meryl Streep ou Helen Mirren sont dans un film, je suis preneur ! Il faut absolument repenser le système et leur écrire des histoires. Et je ne parle pas de comédies pourries où l'on voit trois femmes d'âge mûr faire le bilan ou partir en vadrouille entre copines une dernière fois. Je parle de rôles complexes à la mesure de leur talent !», s'emballe-t-il soudainement, se faisant finalement plus politique qu'il ne veut bien le reconnaître.

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*Indiana Jones et le cadran de la destinée, de James Mangold. Sortie le 28juin 2023.

Source: Le Figaro