Spider-Man : Across the Spider-Verse - révélations sur l'enfer en coulisses, et une industrie en souffrance
Spider-Man : Across the Spider-Verse s'ajoute à la longue liste des blockbusters aux coulisses difficiles, et symbolise à merveille la crise qui couve à Hollywood.
À première vue, Spider-Man : Across the Spider-Verse a tout d'un doux rêve. Pour les fans du tisseur, c'est une merveille d'adaptation, pour les fans du premier film, c'est une suite dantesque, pour les fans d'animation, c'est une prouesse visuelle, et pour les fans de bons films, c'est un petit miracle de cinéma. Le tout en confirmant avec brio les promesses du génial Into the Spider-Verse sorti en 2018. Pour Sony, c'est également une poule aux oeufs d'or.
Le long-métrage a explosé le box-office américain pour son premier week-end, et continue de performer semaine après semaine. Avec 560 millions de dollars récoltés en quatre semaines dans le monde, il a déjà largement dépassé son prédécesseur (384 millions en fin d'exploitation). Pourtant, le rêve aurait plutôt tout d'un cauchemar selon le journal Vulture, qui a dévoilé les coulisses mouvementées du film via quatre témoignages, alors que la direction de Phil Lord, coproducteur et coscénariste, aurait été très difficile.
Across the development hell
Cent personnes (sur environ 1000) auraient ainsi quitté le projet depuis le début de la production, assommées par des horaires infernaux et des changements incessants. Spider-Verse a connu plusieurs reports (sortie en avril puis en octobre 2022, avant d'être fixée au 31 mai 2023), et n'était pas pensé à la base comme un diptyque (la seconde partie doit sortir en 2024, en théorie).
Plus préoccupant encore, il aurait été revu et corrigé 5 fois durant son sprint final, alors que les réalisateurs avaient révélé avoir fini son montage seulement dix jours avant sa sortie. Le résultat d'un rythme de travail difficilement soutenable : 11h/jour, 7 jours/7 pendant un an.
Les témoignages interrogent sur la méthodologie de Phil Lord. Selon un dénommé Stephen (anonymisé par Vulture), le producteur avait le dernier mot sur le film et disposait d'un pouvoir exécutif sur les réalisateurs (Joaquim Dos Santos, Kemp Powers et Justin K. Thompson). Rien de surprenant jusque-là. Ce qui cloche, c'est qu'il aurait passé son temps à demander des changements sur des scènes finies ; une folie coûteuse, en temps et en argent, au vu du nombre impressionnant de départements à la manoeuvre sur le film.
Cette scène n'est pas dans le film
Selon Charlie, un vétéran du milieu qui a travaillé sur Spider-Verse, Lord aurait été incapable de se projeter sur les prévisualisations 3D des plans, étape essentielle pour tout film d'animation, obligeant les artistes à finir leur travail avant de le changer au dernier moment. Des séquences du film auraient ainsi été débutées en 2021, pour être terminées en mai 2023. Selon lui, alors que le montage final était assemblé, Phil Lord aurait continué à vouloir y apporter des modifications, quelques jours avant la sortie du film, ce qui l'aurait mis en conflit avec Sony (une version évidemment démentie par le studio).
Eliott, un autre artiste attaché au projet, révèle que 90% des plans créés pour le premier teaser, sorti en décembre 2021, ne sont pas dans le film. Tous affirment que la production a mystérieusement été mise en pause durant trois mois, durant lesquels Lord et Miller n'ont soumis aucun nouveau plan aux équipes d'animation, au chômage technique. Quand le processus a repris, plusieurs animateurs avaient quitté la production pour se consacrer à d'autres projets.
Cerise sur le gâteau : le studio a sous-payé ses artistes, prétextant que les heures supplémentaires leur permettraient de compenser.
Praise the (Phil) Lord
Ces révélations interrogent. Sont-elles seulement le résultat d'une méthodologie problématique de Lord et Miller, ou le symbole d'une industrie défaillante ? En réalité, un peu des deux. Car le cas des producteurs emblématiques pose clairement question. Contrairement aux habituels anonymes au CV bien peu garni appelés à la barre des projets du MCU (Peyton Reed ou Jon Watts pour ne citer qu'eux), les deux partenaires sont plutôt expérimentés, notamment dans l'animation. Tempête de boulettes géantes, La Grande Aventure LEGO, ou bien évidemment Into the Spider-Verse sont autant d'exemples marquants d'une carrière réussie dans le domaine.
Cependant, il convient de rappeler que leur expérience sur le tournage de Solo : a Star Wars Story avait déjà mis en avant quelques tendances à l'improvisation qui avaient finalement provoqué leur renvoi par Lucasfilm et une brouille avec sa boss Kathleen Kennedy. Dans le cas de Spider-Verse, cette volonté d'improviser aurait tourné au tâtonnement permanent. Évidemment, sur un film d'animation aussi complexe, difficile de faire des reshoots ou de changer des plans du tout au tout. Mais, au lieu de simplement accabler les créateurs, il faut regarder ces révélations comme le symptôme d'un Hollywood toujours plus cruel pour ses petites mains.
Souvenirs...
L'animation est un milieu précaire, dont les tares ont été mises en exergue par l'article de Vulture. Mais si la production d'Across the Spider-Verse a été aussi compliquée, pourquoi donc si peu ont quitté le projet en cours de route ? Stephen affirme que plusieurs de ses amis ont souhaité rester pour garder un de leurs plans dans le film. Un élément capital pour les animateurs, qui doivent constamment nourrir leurs CV de grosses productions pour continuer à travailler. Avec Spider-Verse, on parle d'une franchise techniquement révolutionnaire et oscarisée. Difficile de trouver mieux.
Et c'est là tout le paradoxe de ces révélations troublantes sur le film. En effet, point de blockbuster insipide et boudé par à peu près tout le monde ici, mais un succès populaire, critique et commercial qui se révèle (encore) avoir été un sacré bordel en coulisses. Quand on découvre qu'Ant-Man 3 a été un enfer pour les spécialistes en effets spéciaux, c'est d'autant plus révoltant que le long-métrage est atroce visuellement. Dans le cas de Spider-Man : Across the Spider-Verse, il est dur d'accabler la méthode de Lord et Miller tant le résultat final est une brillante réussite.
On t'aime quand même
Une chose est sûre : il y a très peu de chances de voir Beyond the Spider-Verse, dernier élément de la trilogie, débarquer dès mars 2024 comme prévu. Si on pouvait croire que les deux films avaient été préparés en même temps, il n'en serait rien à en croire un des artistes interrogés par Vulture. Selon lui, tout le travail fait sur Beyond correspond aux tests réalisés quand le film n'était pas encore scindé en deux parties. Mais à ce stade, ce n'est certainement pas le plus grave.
Après les artistes VFX et les scénaristes, c'est un nouveau secteur majeur d'Hollywood qui se révolte. Et ça commence à devenir légèrement inquiétant pour la suite.
Source: EcranLarge