Fin de la discrimination positive à l'université aux États-Unis: "Cela avait permis de diversifier le corps étudiant"
Entretien
La Cour suprême des États-Unis a mis un terme, jeudi 29 juin, aux programmes de discrimination positive à l'université. Les étudiants afro-américains redoutent les conséquences d'un tel revirement avec moins de possibilité pour eux d'avoir accès à certaines études. Esther Cyna, maîtresse de conférences en civilisation américaine à l’université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, répond aux questions de RFI.
La Cour suprême des États-Unis a fait tomber le 29 juin un des acquis de la lutte pour les droits civiques des années 1960, en mettant un terme aux programmes de discrimination positive à l'université.
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RFI : Suite à la décision de la Cour suprême d’abolir la discrimination positive à l’université, les étudiants non-blancs seront-ils désormais bien moins nombreux dans les universités américaines ?
Esther Cyna : Oui, c’est aussi mon avis, en tout cas, c'est ce que je crains. Là, les deux programmes qui étaient visés, donc Harvard et à l’université de la Caroline du Nord, avaient permis de diversifier le corps étudiant de ces deux universités, donc on peut bien sûr craindre cela. Ensuite, il faut dire que la porte n’est pas tout à fait fermée puisque l’arrêt mentionne quand même la possibilité de prendre en compte l’appartenance ethno-raciale des candidats et candidates dans, par exemple, des lettres de motivation. Donc, ça, c'est encore possible. C’est juste qu’il ne peut pas y avoir une case à cocher qui soit prise en compte par un algorithme pour l’admission à la fac.
En tout cas, cette décision survient alors que pendant soixante ans, la discrimination positive a plutôt bien fonctionné aux États-Unis…
Elle n’était pas obligatoire donc elle a fonctionné. On rappelle quand même que la plupart des universités sont privées, donc peuvent décider elles-mêmes de comment elles admettent leurs étudiants. En français, on parle de discrimination positive, mais en anglais, c'est « affirmative action ». Il n’y a pas cette idée de discrimination. L'idée, c'est plutôt d’aider des populations qui ont été désavantagées par le pays, par ses institutions, et pour compenser ce désavantage économique, social, via l’accès à l’enseignement supérieur.
Cette politique avait des adversaires, les conservateurs notamment. Ils sont désormais majoritaires à la Cour suprême, et ce sont eux qui ont décidé de prendre cette décision après déjà plusieurs tentatives qui avaient échoué…
Exactement, des tentatives d’ailleurs récentes. Mais, là, on voit, encore une fois, que ces juges conservateurs ont vraiment un pouvoir avec leur majorité et c’est intéressant de voir en plus dans cet arrêt un échange presque personnel entre deux juges noirs de la Cour suprême : d’un côté, Clarence Thomas, avec les conservateurs, qui attaque vraiment ces programmes, et de l’autre côté, Ketanji Brown Jackson, la nouvelle juge de la Cour suprême, qui défend l’affirmative action. Et, les deux en ont bénéficié à un certain moment de leur vie.
Joe Biden a aussitôt exprimé son « fort désaccord » avec la décision de la Cour suprême. De quels moyens dispose-t-il désormais pour s’y opposer ?
Effectivement, lui, il a été très clair : il a dit que cette Cour n’était pas « normale » et il a confirmé qu’il y avait encore de la discrimination raciale aux États-Unis. Parce que c’est ça aussi la question : les conservateurs considèrent qu’il n’y a plus besoin de discrimination positive aujourd’hui. Lui n’a pas vraiment de moyen. Ce qu’il peut faire, c’est encourager son gouvernement à publier des directives qui aideraient les universités à changer leur mécanisme d’admission pour toujours prendre en compte l’appartenance ethno-raciale, mais dans le vécu de l’étudiant, et pas seulement comme une case à cocher sur un formulaire.
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Source: RFI