Mark Zuckerberg a de bonnes raisons d'avoir accepté le combat de MMA contre Elon Musk
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S'il a lieu, ce sera le «plus grand combat de tous les temps». Tels sont les mots qu'inspire à Dana White, le président de l'Ultimate Fighting Championship (UFC, la plus importante ligue d'arts martiaux mixtes ou MMA), la perspective d'un combat en cage entre les milliardaires Elon Musk et Mark Zuckerberg. Dana White affirme avoir parlé à Elon Musk et à Mark Zuckerberg, et déclare qu'ils sont «absolument sérieux».
Au cas où vous auriez eu l'esprit distrait par d'autres «querelles» ayant fait la une de l'actualité, voici un résumé de la situation. La semaine dernière, Elon Musk, propriétaire de Twitter, a tweeté qu'il serait «prêt pour un combat en cage» avec le PDG du groupe Meta (qui comprend Facebook ou WhatsApp). Jusqu'ici, rien de très choquant. Elon Musk, mondialement célèbre pour ses outrances sur les réseaux sociaux, s'en prend souvent de façon puérile à d'autres personnalités publiques.
Mais Mark Zuckerberg a répondu sur Instagram (dont il est le propriétaire) avec un mème de l'UFC: «Envoie-moi l'adresse.» On aurait pu en rester là, mais lorsque le site The Verge a contacté Iska Saric, porte-parole de Meta, pour évaluer la sincérité de Mark Zuckerberg, celle-ci a répondu: «L'histoire parle d'elle-même.»
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Meta aurait pu profiter de l'occasion pour revenir sur le message de Mark Zuckerberg, ou faire passer le tout pour une blague. Il n'en est rien. C'est une chose qu'Elon Musk, probablement le troll le plus célèbre du monde (après Donald Trump), s'engage dans ces inepties. Ce qui est plus difficile à comprendre, c'est ce que pense Mark Zuckerberg. Quel est l'intérêt pour lui de défier et –si nous prenons ces deux-là au mot– de combattre littéralement contre Elon Musk?
Coup de pub et rivalité
À première vue, il s'agit d'une façon grossière mais intelligente pour Mark Zuckerberg d'attirer l'attention sur son alternative à Twitter (dont le nom de code est Project 92 ou P92), que Meta est en train de créer. C'est d'ailleurs l'origine de la querelle: lors d'une réunion de l'équipe de Meta, un adjoint de Mark Zuckerberg a déclaré que Meta travaillait sur un outil qui, contrairement à Twitter, serait «géré de manière sensée», ce qui n'a pas plu à Elon Musk.
Si le combat en cage a réellement lieu, des tonnes de gens le regarderont, on en parlera partout dans les médias, et en théorie, des millions de personnes (dont beaucoup d'utilisateurs frustrés de Twitter) apprendront l'existence de P92. La joute verbale entre Elon Musk et Zuckerberg a du reste déjà généré quelques mentions de ce projet dans la presse.
Mais je pense qu'il y a une dimension plus personnelle. Il y eut un temps où Mark Zuckerberg comptait parmi les personnes les plus admirées de la planète. Avant de devenir l'une des plus méprisées. Par la suite, Elon Musk a été à son tour l'une des personnes les plus admirées au monde, mais le voilà aujourd'hui lui aussi de plus en plus largement dénigré. Ils sont tous deux devenus des super-vilains dans l'imaginaire public, et tandis qu'Elon Musk semble se délecter de ce rôle (pour donner un exemple récent, il n'a pas hésité à réitérer ses attaques antisémites contre George Soros), on a l'impression que Mark Zuckerberg aimerait être un peu plus aimé (vous vous souvenez de son road trip aux allures de campagne présidentielle en 2017?).
Si Mark Zuckerberg se bat contre Elon Musk et qu'il l'emporte, il pourrait regagner un peu de sympathie, en faisant figure de David ayant vaincu un Goliath. Après tout, Elon Musk a non seulement provoqué les hostilités, mais il est aussi plus grand de 17 centimètres (1,71 m contre 1,88 m) et plus lourd d'une quinzaine de kilos que Mark Zuckerberg. Certes, ce serait une forme de triomphe un peu idiote pour un homme qui a été accusé d'avoir permis un génocide... mais l'Amérique a la mémoire courte et adore les histoires de Rocky.
La pratique du jiu-jitsu brésilien fait pencher la balance
Et voici ce qu'il faut savoir: Mark Zuckerberg a de bonnes chances de gagner. Il a passé ces dernières années à s'entraîner au jiu-jitsu brésilien (un art martial pratiqué principalement au sol et qui consiste à essayer d'étrangler son adversaire ou lui faire une clé pour le soumettre), et il est devenu plutôt bon!
Si le combat a bien lieu, il se déroulera dans un octogone de l'UFC à Las Vegas et ce sera une compétition d'arts martiaux mixtes (MMA), à savoir que Mark Zuckerberg et Elon Musk seront autorisés à utiliser un large éventail de techniques de combat, dont le jiu-jitsu brésilien (JJB). Techniquement, Mark Zuckerberg est encore ceinture blanche. Mais début mai 2023, il a participé à un tournoi et a remporté une médaille d'or et une médaille d'argent. Il a également reçu les éloges de Joe Rogan, célèbre animateur de podcast et spécialiste de MMA, qui l'a qualifié de «putain de sauvage».
Selon Joe Rogan –lui-même ceinture noire de JJB– et d'autres adeptes de cette discipline, le principe du jiu-jitsu brésilien est qu'il ne s'agit pas d'une démonstration de force brute. En fait, si vous vous défoncez, c'est souvent le signe que vous êtes en train de perdre. Ce que le JJB récompense, en revanche, c'est l'intelligence.
Ce sport a été inventé par un homme d'une soixantaine de kilos (le Brésilien Hélio Gracie), qui s'est rendu compte que s'il utilisait l'effet de levier et retournait la force de ses adversaires contre eux, il pouvait vaincre des gars beaucoup plus grands et plus forts que lui. La technique a été popularisée dans l'octogone de l'UFC, aidant des types fluets comme Mark Zuckerberg à battre des costauds comme Elon Musk (même s'il existe évidemment des catégories de poids en MMA, comme dans n'importe quel sport de combat, ndlr).
J'ai passé les deux derniers mois à suivre des cours de JJB, en grande partie parce que j'étais curieux de savoir pourquoi des types comme Joe Rogan et Mark Zuckerberg sont si enthousiastes (et parce que je suis un romancier qui travaille sur un livre centré autour d'un milliardaire de la tech qui s'adonne à diverses activités hyper-masculines).
Personnellement, je suis un humain de la taille d'Elon Musk, dans une forme physique passable, et je peux vous dire que je me fais très souvent aplatir par des personnes plus petites et plus minces que moi, tous genres confondus. Cela se produit régulièrement: je me retrouve face à un septuagénaire et je me dis «ah, j'ai enfin une chance», avant d'être immédiatement soulevé du sol et de subir un étranglement, ou d'être retourné et de me voir infliger une clé de bras très inconfortable, avec une torsion qui risque de me briser les os. Heureusement, dans un sport de combat réglementé comme le JJB, il est toujours possible de «taper» pour mettre fin à l'affrontement.
Le sport de combat: un apaisement et un aveu de Zuckerberg?
Ce qui me pousse à revenir, après tant d'humiliations, ce sont les encouragements des autres gars de ma salle de JJB, qui insistent sur le fait qu'après des années de pratique, je serai capable de tenir mon rang. Mais je reviens aussi parce que, malgré tous les coups reçus, je trouve cela étrangement apaisant. À l'instant où j'entre dans la salle de sport, toutes mes angoisses –carrière, famille, statut, vieillissement– s'évanouissent. Pendant une heure environ, je suis dans le flux: perdu dans le moment présent, parfois terrifiant, toujours exaltant.
Mark Zuckerberg a parlé de cet aspect du jiu-jitsu brésilien dans le podcast The Joe Rogan Experience («si vous cessez d'être attentif une seule seconde, vous allez finir à terre») et, plus récemment, dans le podcast de Lex Fridman, chercheur en intelligence artificielle. Mark Zuckerberg lui a déclaré que la pratique d'un sport requérant toute son attention «est vraiment importante pour [sa] santé mentale». L'ironie de la chose, c'est que Zuckerberg a fait fortune grâce à des applications –Facebook, Instagram, WhatsApp– qui ont complètement détruit notre capacité d'attention. Selon moi, la passion de Mark Zuckerberg pour le jiu-jitsu brésilien est le signe d'un rejet de la technologie, un aveu qu'il est fatigué des outils mêmes dont il abreuve le monde.
L'intérêt de la technologie, bien sûr, est qu'elle est censée nous faciliter la vie et nous délivrer de la douleur et du labeur qui étaient le lot de l'homme des cavernes. Et pourtant, nous voici en 2023, avec deux des plus célèbres technophiles de l'histoire, revenant à l'activité ultime de l'homme des cavernes: le combat. Oui, dans une certaine mesure, leur échange est l'illustration d'une posture machiste stupide dans un monde trumpien, et selon toute probabilité, le combat n'aura jamais lieu.
Mais je pense aussi que cela montre notre degré d'épuisement à tous –y compris Mark Zuckerberg et Elon Musk– face à la technologie. Mark Zuckerberg se lance à corps perdu dans le développement de lunettes de réalité augmentée, alors qu'en fait, il n'a qu'une envie: les enlever, sauter dans une cage et tabasser ou étrangler quelqu'un.
Source: Slate.fr