Violences après la mort de Nahel : trois questions sur l'usage des réseaux sociaux durant les émeutes
Sur Snapchat, TikTok ou Twitter, les émeutiers partagent leurs vidéos, ce qui leur permet d'être localisés et de s'organiser pour se retrouver. Pour endiguer cette pratique, le gouvernement a demandé aux plateformes de supprimer rapidement les contenus qui participent à alimenter les émeutes.
Depuis la mort de Nahel, mardi 27 juin, tué par un policier lors d'un contrôle routier à Nanterre (Hauts-de-Seine), les images des émeutes ont inondé les réseaux sociaux. Sur Twitter, TikTok et Snapchat, les vidéos de dégradations et d'affrontements avec la police sont les plus vues et sont poussées en avant par l'algorithme de recommandation, basé sur la popularité des vidéos. Mais les réseaux sociaux ne servent pas qu'à partager les images des violences. Depuis quatre jours, les plateformes sont aussi le lieu où s'organisent les émeutiers, comme l'ont dénoncé le gouvernement et le président de la République vendredi 30 juin. Franceinfo revient en trois questions sur l'usage des réseaux sociaux et leur rôle dans ces émeutes.
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1 Quel rôle jouent les réseaux sociaux dans l'organisation des émeutiers ?
Que ce soit sur Twitter, TikTok ou Snapchat, les contenus qui correspondent à une tendance du moment sont poussés en avant par la plateforme. On assiste donc à un effet boule de neige : plus les vidéos des émeutes sont visionnées, plus elles sont montrées à de nombreux utilisateurs, et ainsi de suite. Sur Snapchat, la "carte Snap", qui permet de voir en temps réel la position de ses amis, permet aussi de savoir facilement où sont les lieux qui concentrent les vidéos de dégradations et d'affrontements avec les forces de l'ordre. En un clin d'œil, il est ainsi possible de savoir où se rendre pour rejoindre un regroupement.
Les réseaux sociaux "ont la capacité de mobiliser instantanément les gens. Des appels à la mobilisation sont effectués en stories, par exemple, par des individus qui touchent leurs communautés, mais le message peut ensuite être très vite relayé à d'autres", atteste Yasmine Buono, spécialiste en éducation numérique, à France 3 Provence-Alpes Côtes d'Azur. Filmer ses exploits sur les réseaux sociaux revêt également une dimension symbolique. "Les réseaux sociaux permettent de rendre l'émeute mémorable. De faire de ce jour qui sort de la quotidienneté un souvenir durable", explique le maître de conférences en sciences de la communication Romain Huët à Libération.
En déplacement à Créteil (Val-de-Marne), samedi 1er juillet, le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, a regretté "l'effet de meute" que provoque le partage sur les réseaux sociaux des violences commises et a mis en garde ceux qui diffusent de telles images avec leurs comptes. "Ça donne l'envie d'aller plus loin aux autres. (...) Si vous balancez des trucs sur Snapchat, le compte, on va le péter, a-t-il expliqué vivement. Je veux que la jeunesse sache de façon claire que les procureurs de ce pays iront chercher les identités des jeunes" qui partagent des informations sur "le lieu, le moment" d'une agression, a affirmé le garde des Sceaux. "Que personne ne pense que derrière les réseaux sociaux, il y a l'impunité", a-t-il martelé.
2 Comment le gouvernement tente-t-il de réguler les usages des applications ?
Face au phénomène, Emmanuel Macron veut se montrer ferme. "Les plateformes et les réseaux sociaux jouent un rôle considérable dans les mouvements des derniers jours. (...) Nous prendrons dans les prochaines heures plusieurs dispositions en lien avec ces plateformes, pour organiser le retrait des contenus les plus sensibles", a annoncé le président lors d'une réunion de crise interministérielle vendredi.
Le chef de l'Etat a dit attendre un "esprit de responsabilité" des grandes plateformes des réseaux sociaux. Vendredi dans l'après-midi, les représentants de Meta (la maison mère de Facebook), Twitter, Snapchat et TikTok ont ainsi rencontré le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin et celui du Numérique, Jean-Noël Barrot, qui "ont notamment rappelé aux plateformes leur responsabilité quant à la diffusion de ces publications", signale un communiqué de la place Beauvau. Il a ainsi été demandé aux plateformes de "s'engager activement pour retirer instamment les messages qui leur sont signalés et identifier les utilisateurs de réseaux sociaux qui participent à la commission d'infractions, et de répondre promptement aux réquisitions des autorités administratives et judiciaires".
De son côté, Meta explique avoir "des politiques claires interdisant tout contenu qui incite à la haine et la violence sur Facebook et Instagram". "Nous sommes en contact permanent avec les autorités françaises et nous avons mis en place une cellule de veille dès le milieu de la semaine pour agir le plus vite possible", poursuit le communiqué relayé par l'AFP. Le réseau social Snapchat s'est également défendu d'être laxiste vis-à-vis du contenu violent sur sa plateforme. "Lorsque nous trouvons ce type de contenu, soit par détection proactive, soit lorsqu'il nous est signalé, nous le supprimons et prenons les mesures appropriées", assure un porte-parole de Snapchat à l'AFP. Enfin, concernant la carte Snap, la plateforme assure examiner "de manière proactive (...) le contenu lié aux émeutes" afin de supprimer ce qui "enfreint [ses] directives".
3 En quoi les réseaux sociaux changent-ils la donne par rapport aux émeutes de 2005 ?
Il y a dix-huit ans, Facebook effectuait des débuts balbutiants sur le campus d'Harvard, aux Etats-Unis, Twitter n'allait voir le jour que quelques mois plus tard, Snapchat (créé en 2011) et TikTok (2016), eux, étaient loin de faire leur apparition sur nos téléphones. Les réseaux sociaux ne faisaient pas partie du quotidien, mais des émeutes avaient tout de même secoué les quartiers populaires pendant plus de deux semaines, poussant même l'exécutif à appliquer l'état d'urgence.
"Ce serait une erreur de (focaliser) trop d'attention sur ça, de choisir les réseaux sociaux comme boucs émissaires d'un phénomène qui est finalement une crise sociale et démocratique", tempère auprès de l'AFP Leïla Mörch. Selon l'experte en gouvernance de l'internet et modération des contenus en ligne, les réseaux sociaux sont "un miroir déformant de la réalité" et de la violence. "Les réseaux sociaux l'embrassent, la mettent sous une lumière encore plus forte. Mais, en l'occurrence, ils ne sont absolument pas la cause. En 2005, il n'y avait pas les réseaux sociaux et les émeutes avaient duré le temps qu'on connaît", ajoute-t-elle.
L'experte reste donc prudente face aux velléités de censurer certains contenus sur les réseaux sociaux. "Dans des moments comme ça, on ne peut réagir qu'à chaud en supprimant du contenu en masse pour éviter de nourrir une sorte de cercle de la haine. Mais c'est liberticide et donc ce n'est une solution qu'à très court terme", que l'on réemploie "à chaque fois qu'il y a une crise", constate la coordinatrice d'un laboratoire de recherche à l'Université de Stanford.
Source: franceinfo