“Une grande année”, sur Disney+ : ce nanard viticole de Ridley Scott serait-il le meilleur rôle de Didier Bourdon ?
Débouchez une bouteille avant de vérifier par vous-même : le vigneron grognon Bourdon est parfait dans ce film un brin clownesque, face à Russell Crowe en trader magouilleur.
Didier Bourdon incarne le vigneron Francis Duflot avec une envie et une franchise presque déroutantes. Fox 2000 Pictures / Scott Free Productions / Collection Christophel
Par Augustin Pietron-Locatelli Partage
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La ligne oubliée du CV de Didier Bourdon ? L’une des deux fois, en tout cas, où le plus français des acteurs français a joué dans un film étranger. Il y eut d’abord L’Œil qui ment (1992), de Raoul Ruiz, où l’illustre Inconnu donnait la réplique à John Hurt, quand même. Et puis en 2006, Une grande année, de Ridley Scott. Autant le dire tout de suite, ce long métrage est un drôle de truc. L’œuvre très française d’un cinéaste plutôt pas français du tout, mais tellement séduit par ses vacances dans le Luberon qu’il en a fait un film…
Une grande année, c’est la rencontre – un peu nanardesque – entre un mélodrame très anglo-saxon et un supposé cinéma romantique à la française… Pour un gros échec public et un immense échec critique. « Deux heures durant, le film nous inflige à peu près tous les clichés possibles sur les vertus du terroir versus la perversion de l’argent […] », jugeait à l’époque Télérama.
C’est vrai que, côté morale, il faudra repasser. Max Skinner (Russell Crowe à son prime, comme disent les anglophones et les jeunes branchés, bref à son meilleur millésime) est un trader, genre Le Loup de Wall Street avant l’heure. Il magouille avec un sourire carnassier, jusqu’à ce que, attrapé par la répression des fraudes, il soit forcé de se mettre au vert. Coup de « bol », son oncle Henry (le grand acteur britannique Albert Finney dans l’un de ses tout derniers rôles) vient de mourir : Max hérite d’un domaine viticole en Provence. Il n’en veut pas mais va quand même devoir se rendre sur place pour liquider ses avoirs notariaux.
On observe donc Russell Crowe « russellcrower » [néologisme : être un beau gosse quoique pas très futé, ndlr] dans le Sud, notamment au volant d’une Smart de location dont l’autoradio joue à plein volume Moi, Lolita, d’Alizée… six ans après sa sortie – on ne remercie pas Ridley Scott de nous l’avoir remis en tête. Il manque ensuite de renverser Marion Cotillard à vélo, dans une chute qui lui aurait certainement coûté trois vertèbres dans la vraie vie. Ce qui donne au film ce petit côté nanard attachant.
Sacrément caricatural
Mais revenons à notre Bourdon. Max Skinner se balade dans le domaine de feu son oncle, quand soudain on aperçoit un vigneron au volant d’une épandeuse, et au détour d’un contrechamp qui nous fait sauter (un peu) de notre chaise : qui voilà ? Didier Bourdon en pantacourt. « Chicken shit » sont les premiers mots qu’il lance à Russell Crowe : il parle de la composition de l’engrais de ses vignes, bien sûr. Le comédien joue Francis Duflot – « Monsieur Douflot » dans la bouche de Max Skinner – avec une envie et une franchise presque déroutantes.
Avant de vendre le domaine dont il a hérité, Max Skinner (Russel Crowe) doit composer avec le vigneron interprété par Bourdon. Photo Rico Torres / Fox 2000
Il a du cœur, ce Duflot ; il n’a pas non plus sa langue dans sa poche. Et un accent français sur lequel Bourdon n’a pas l’air de forcer, alors que la quasi-totalité de sa partition est en anglais… « It iz maïe paintbreush » (C’est mon pinceau) : il tient aisément tête à Crowe qui veut vendre son domaine. D’accord, mais le vignoble appartient-il à son propriétaire ou à celui qui l’exploite ? Grande question sur laquelle glose le film… Duflot a la réponse. « When you sell, I stay vigneron. I keep my vines. » Period.
En fait, dans chacune de ses scènes, Bourdon joue un de ses personnages des Inconnus : sacrément caricatural, mais incarné avec un tel sérieux qu’on ne peut pas ne pas y croire. Avec un humour sous-jacent, puisque le personnage est aussi un pro du tennis – il faut revoir ce duel patriotique (« Fred Perry ! – René Lacoste. ») entre Crowe et Bourdon. Le second est le casting parfait pour un film lui aussi un brin clownesque. Bien loin de la veine de ces films dans laquelle on l’a engagé ensuite, ce personnage de vieux grognon qui, du Grand Partage à Permis de Construire en passant par 100 % Bio sur France 3, grogne toujours sur la même fréquence.
Et sans trop en dire, il se pourrait que Duflot soit également un point clef de la conclusion du scénario… Est-ce que cette bonne interprétation fait d’Une grande année un grand cru ? À peine. « C’est la piquette », comme disait un autre philosophe franchouillard.
Source: Télérama.fr