Le modèle social français n’est pas soutenable
Un article de l’Iref-Europe
Par leurs votes, les Français ont opté majoritairement pour un modèle social qui repose sur une conception très large du « service public », confiant à l’État de nombreuses missions : la production d’un service de santé de qualité, l’éducation, la garantie d’un logement, les retraites, des revenus minimum, ou encore la promotion de la culture. C’est le « modèle social à la française » qui a fait rêver plus d’un étranger. C’est aussi le modèle que beaucoup de Français – et donc les politiques qui les représentent – continuent de plébisciter.
Pourtant les faits sont là : ce modèle est insoutenable.
En quoi l’est-il ?
La question doit être traitée avec attention si l’on veut éviter les débats stériles du type de ceux qui se sont tenus autour de la réforme des retraites. Certes, de la même façon qu’il n’était pas faux d’affirmer la possibilité de « sauver » notre système des retraites, il est possible de « sauver » notre modèle social. Mais il faudrait pour cela accepter de payer plus (et plus longtemps) et de recevoir moins. N’est-il pas tout simplement réaliste de dire d’un modèle qui requiert des sacrifices toujours plus grands pour des bénéfices de plus en plus faibles, qu’il est insoutenable ? Je pense que oui.
Que notre modèle social coûte cher ne fait aucun doute.
Les données de l’OCDE nous le rappellent : la France est parmi les pays développés où le ratio des dépenses publiques sur le PIB est le plus fort. Nous sommes même bien souvent le pays avec le ratio le plus élevé. Et clairement, si en 2021 ce ratio est de 59,05 % pour la France contre 51,25 % en Allemagne, 44,94 % aux États-Unis ou encore 35,92 % en Suisse, c’est parce que nous nous reposons plus lourdement sur l’État.
Mais à partir de ces seules observations, peut-on conclure que le modèle français est insoutenable ? Certainement pas.
Après tout, si l’on a confié davantage de missions à l’État, il est normal qu’il dispose de plus de moyens.
Dépenses publiques générales en pourcentage du PIB pour quelques pays de l’OCDE, 2007, 2020, 2021
Source : OCDE, Statistiques des comptabilités nationales
Oui mais… Parce qu’elles s’expriment en pourcentage de PIB, ces statisitques cachent une partie importante de la réalité : notre PIB rapporté au nombre d’habitants est moins élevé que chez de nombreux pays voisins. Pour faire simple, le Français est moins riche que nombre de ses voisins.
Dépenses publiques générales par habitant pour quelques pays de l’OCDE, 2007, 2019, 2020
Source : OCDE, Statistiques des comptabilités nationales
Ainsi, alors que nous sommes leader du premier classement – celui qui donne le ratio des dépenses publiques sur le PIB – nous ne sommes qu’à la septième place dans le classement des dépenses publiques par habitant (outre le Danemark, la Belgique et la Suède qui figurent dans notre tableau, nous devancent également le Luxembourg, la Finlande, l’Autriche et la Norvège).
Dit autrement, bien qu’étant recordman de la pression fiscale, nous sommes bien loin d’être recordman dans la catégorie des sommes réellement dépensées par l’État pour chacun des citoyens. Ainsi, les Suédois ont un ratio dépenses publiques/PIB plus de 12 points inférieurs au nôtre (Suède 46,6 %, France 59,05 %). Pourtant, en 2021, l’État suédois a dépensé la somme de 29 754 euros par habitant, soit presque autant que la France.
Ces observations suffisent-elles maintenant à établir que le modèle social français est insoutenable ?
Pas encore. Mais elles devraient nous mettre la puce à l’oreille… Car elles corroborent une théorie, qui relève du bon sens, selon laquelle un système basé sur la redistribution n’incite guère à la création de richesse; et surtout lorsque cette redistribution est coercitive.
Cependant, au-delà de cette prise en compte de la nature humaine, il est une autre raison pour laquelle notre modèle social est insoutenable : l’inefficience de la dépense publique. Là encore le phénomène est bien connu. Milton Friedman l’a baptisé du nom de Loi de Gammon. Voici l’extrait de son texte :
« Il y a quelques années, je suis tombé sur une étude du Dr Max Gammon, […] comparant les entrées et les sorties dans le système hospitalier socialisé britannique. Prenant le nombre d’employés comme mesure d’entrée et le nombre de lits d’hôpitaux comme mesure de sortie, il a noté que […] les intrants avaient fortement augmenté, alors que la production […] avait en fait chuté. […] Selon ses propres termes, dans un système bureaucratique […] l’augmentation des dépenses s’accompagnera d’une baisse de la production. […] De tels systèmes agiront plutôt comme des trous noirs dans l’univers économique, absorbant les ressources tout en diminuant les émissions de production. J’ai longtemps été impressionné par le fonctionnement de la loi de Gammon dans le système scolaire américain : les intrants […] augmentent depuis des décennies, et les résultats, qu’ils soient mesurés en nombre d’élèves, en nombre d’écoles ou, plus clairement, en qualité, ont baissé. »
Il y a fort à parier que cette loi de Gammon est à l’œuvre aujourd’hui dans le « modèle social » français.
Une étude IREF de 2020 montrait que la qualité de notre système de santé est moindre que dans les pays au développement économique comparable au nôtre. Sur les cinq classements répertoriés par l’étude, un seul plaçait la France parmi les dix meilleurs pays, et encore c’était à la 9e place ! La bonne nouvelle est que ces pays qui font mieux que nous qualitativement proposent un système de santé différent du nôtre. Une alternative prometteuse existe donc bien. Mais pour aller de l’avant il faudra d’abord sortir du mythe d’un modèle social français qui aurait toutes les vertus du monde.
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Sur le web
Source: Contrepoints