Une Algérie pro-russe serait-elle fatalement anti-française?
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D'un report à l'autre, la visite annoncée comme historique du président algérien Abdelmadjid Tebboune en France, initialement prévue en mai puis durant la deuxième moitié du mois de juin, est encore une fois remise aux calendes grecques. Selon la présidence française, Paris et Alger étaient toujours, à la mi-juin, «en discussion pour trouver une date qui puisse convenir» à la venue du chef d'État algérien en France. En l'absence de communication officielle du côté algérien sur la question, la presse se fie à des bruits de couloirs qui annoncent un nouveau (et sans doute dernier!) report à l'automne prochain.
Les deux parties attendaient certainement que les tensions retombent –après une succession de coups d'éventail réciproques– pour pouvoir envisager un redémarrage des relations bilatérales. Mais entre-temps, la situation n'a fait que s'envenimer davantage.
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Poutine ou Macron: faut-il choisir?
Le rapprochement ostentatoire d'Alger avec Moscou, qui s'est traduit par l'accueil exceptionnel –et jamais rêvé par un chef d'État algérien ou arabe– qui a été réservé à Abdelmadjid Tebboune par Vladimir Poutine, du 13 au 15 juin, à un moment de forte tension entre l'Europe et la Russie à cause de la guerre en Ukraine, ne pouvait que pousser vers plus de crispation avec Paris.
En avançant sa visite d'État à Moscou (par rapport à celle prévue à Paris), le chef de l'État algérien a-t-il voulu narguer son homologue français Emmanuel Macron? A-t-il voulu se doter de plus d'appuis pour venir négocier en position de force?
Dans tous les cas de figure, ce redéploiement politico-diplomatique impromptu de l'Algérie impose aux Français de tout faire, désormais, pour empêcher l'engloutissement total de ce partenaire privilégié par la politique russe. Une alliance algéro-russe dans les pays du Sahel risque d'être d'autant plus fatale que les Algériens étaient depuis longtemps déjà soupçonnés de vouloir aider les Russes à s'y installer durablement, au détriment de la présence française.
Grâce à ses relais politiques (et tribaux) au Mali notamment, l'Algérie est souvent sollicitée par les puissances internationales pour y avoir un pied. Les Russes, qui ont toujours ambitionné de s'y implanter, ont réussi, à travers le groupe paramilitaire Wagner, à supplanter en partie les armées régulières internationales. Or, la récente mutinerie avortée de Wagner risque de changer radicalement la donne dans la région. Le suspense demeure, puisqu'on ne sait pas si cette structure formée de mercenaires va rester sur place et poursuivre ses activités au Mali et en Centrafrique notamment, après ce qui s'était passé.
On ne connaît pas non plus l'état des lieux après la décision prise par Moscou d'incorporer d'office les hommes du Groupe Wagner dans l'armée régulière. Une chose est néanmoins sûre: cela ne va pas changer les ambitions des Russes de poursuivre leur pénétration dans le continent noir, où une partie de l'opinion leur semble acquise.
La politique des enchères
Cette nouvelle étape franchie par l'Algérie dans son bras de fer avec son ancien colonisateur a été couronnée par la réintroduction, bien calculée et sur décret présidentiel du 21 mai 2023, d'un couplet ouvertement anti-France dans l'hymne national algérien, écrit en 1955 et adopté en 1963. Ce couplet au ton sentencieux commence par: «Ô France! [...] Voici venu le jour où il te faut rendre des comptes!» Ce couplet n'était plus entonné dans la vie publique algérienne depuis 1986.
Or, de nombreux observateurs algériens, dont l'ex-ministre de la Culture, Mahieddine Amimour, doutent que ledit couplet ait été composé par l'auteur de l'hymne Kassaman («Nous jurons!»), Moufdi Zakaria. Leur argument est que, dans l'esprit des combattants du Front de libération nationale (FLN), le nom de l'ennemi, en l'occurrence ici la France, ne devait être cité dans aucun texte.
Cette polémique vise à faire monter les enchères pour mieux entretenir l'escalade entre les deux pays. La preuve, de nombreuses voix de l'autre rive de la Méditerranée n'ont pas tardé à réagir, à commencer par l'inusable ancien ambassadeur français à Alger, Xavier Driencourt, qui, depuis quelque temps, ne rate pas une occasion pour descendre en flamme le personnel politique algérien. Mais c'est la réaction, autrement plus inattendue, de Catherine Colonna, ministre des Affaires étrangères, qui va irriter son homologue algérien et, comme dans un cercle vicieux, justifier une énième levée de boucliers du gouvernement algérien.
De leur côté, des acteurs importants de la classe politique française ont choisi ce moment crucial pour exhumer un vieux contentieux: celui de l'accord de 1968 avec l'Algérie. Celui-ci s'inspirait des accords d'indépendance de 1962 et offre un statut particulier aux ressortissants algériens. Le ton fut donné par quelques voix autorisées, dont semble faire partie Xavier Driencourt, ou les deux anciens Premiers ministres, Édouard Philippe et Manuel Valls. L'idée est largement justifiée par le souci de stopper ces flux migratoires que rien ne semble juguler; mais cela risquerait d'amener rapidement les relations avec Alger à un point de non-retour, avec des conséquences incalculables.
«Sursauts nationalistes»
Khadija Mohsen-Finan, politologue spécialiste du Maghreb que nous avons interrogée, estime que, malgré «les spasmes et les sursauts nationalistes» qui peuvent continuer à émailler les relations entre l'Algérie et la France, sur le fond, «il y a une coopération sécuritaire et énergétique».
Comment Paris va-t-elle intégrer le rapprochement affiché par Alger envers Moscou? Réponse de notre interlocutrice: «Cela peut en effet jouer en défaveur du camp algérien, mais Alger n'a jamais caché sa proximité avec Moscou, même s'il ne s'agit pas d'un alignement. En même temps, Emmanuel Macron ne cesse de dire qu'il ne faut pas interrompre le dialogue avec Vladimir Poutine.»
À propos de la visite maintes fois reportée d'Abdelmadjid Tebboune à Paris, Khadija Mohsen-Finan pense qu'elle aura bien lieu. «Mais de manière décalée par rapport à la visite à Moscou. Chacun des deux exécutifs a des opinions publiques à ménager», explique-t-elle.
Tout paraissait encore jouable avant la mort du jeune Franco-Algérien Nahel M., le mardi 27 juin, à la suite d'un tir policier à Nanterre (Hauts-de-Seine). Une affaire qui nourrit déjà les extrêmes dans un contexte politique sensible et qui n'a pas échappé au gouvernement algérien, lequel, dans un communiqué du ministère algérien des Affaires étrangères et de la Communauté nationale à l'étranger publié le surlendemain, dit «suivre avec une très grande attention» les développements de cette affaire.
Dans un style tout à fait nouveau, Alger demande (gentiment) au gouvernement français d'assumer pleinement «son devoir de protection» des ressortissants algériens «sur leur terre d'accueil». N'est-ce pas révélateur que Marion Maréchal ait été la première à réagir à ce communiqué, en tweetant: «Que le gouvernement algérien s'occupe de ses affaires»?
Source: Slate.fr