À Lorient, où sont passés les interpellés de la " brigade anti-casseurs " ?

July 04, 2023
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Il est plaqué à terre. L’une des ombres qui s’est abattue sur ce casseur présumé, pose un genou sur le dos du jeune homme, avant de lui passer des colliers de serrage aux poignets. La technique d’immobilisation est parfaitement maîtrisée. Mais le petit groupe d’une petite trentaine de personnes en civil, visage masqué et gants coqués pour certains, qui opère dans le centre-ville de Lorient, dans la nuit de vendredi à samedi dernier, sous les yeux de plusieurs journalistes, dont deux du Télégramme, n’appartient à aucune force de l’ordre officielle.

« On est juste des personnes qui veulent sauver la France », témoigne le lendemain soir une jeune femme assurant appartenir à ce « groupe apolitique qui s’est formé spontanément », au micro de J’aime Radio. « J’ai juste pas envie de voir ma ville brûler », rapporte un autre membre, au cours de la même interview.

La veille, le groupe a éteint quelques départs de feu et a procédé à au moins trois interpellations sauvages. L’un des casseurs supposés a été frappé. Tous auraient été remis à la police, avec qui le groupe semble avoir en partie agi en concertation, selon le témoignage audio fait auprès de J’aime Radio. Problème : le parquet de Lorient assure au Télégramme « ne disposer d’aucun élément à ce sujet ». La police certifie, de son côté, dans Ouest-France, « qu’aucune personne arrêtée n’a été livrée à des policiers », contrairement à plusieurs témoignages recueillis au cours de la nuit par Le Télégramme. Que sont donc devenus les trois interpellés de la brigade anti-casseurs ? Les réponses de la justice et de la police esquissent trois scénarios possibles.

Séquestration et violences en réunion

Un : les trois interpellés ont bien été remis à des policiers, qui les ont aussitôt relâchés. Ce qui laisse penser qu’aucune infraction ne pouvait leur être reprochée et que, par conséquent, leur interpellation était donc… illégale.

C’est ce scénario que valide un témoin que Le Télégramme a retrouvé. Dans cette hypothèse, juridiquement, les interpellations en question sont des « séquestrations » (de moins de sept jours), délits punissables de cinq ans de prison et de 75 000 euros d’amende. Peine maximale qui grimpe à dix ans d’emprisonnement si les faits sont commis « en bande organisée ou à l’égard de plusieurs personnes (seule la seconde qualification serait susceptible d’être retenue) ». « Des infractions de violences en réunion pourraient également être constituées, ajoute Me Olivier Pacheu, avocat pénaliste rennais sollicité par nos soins. Des coups semblent avoir été portés, l’utilisation de colliers de serrage est aussi une violence et certains utilisent des gants coqués pouvant éventuellement être assimilés à des armes. »

Article 73 dévoyé et « risque d’arbitraire »

Deuxième hypothèse, plus inquiétante : les interpellés ont été remis à des policiers et une procédure judiciaire a bien été enclenchée. Dans ce cas, cela signifie que les « anti-casseurs » n’apparaissent pas en procédure, puisque le parquet assure « ne disposer d’aucun élément à ce sujet ». Ce qui implique des procès-verbaux d’interpellation nécessairement biaisés. Les interpellations seraient illégales puisqu’aucune autorité judiciaire ne les a contrôlées et validées, et toute la procédure serait menacée. Les policiers ayant rédigé ces PV s’exposeraient eux-mêmes sur le plan judiciaire.

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« Les cas où un citoyen peut interpeller l’auteur d’une infraction sont encadrés par la loi, rappelle Me Pacheu. Il faut qu’il agisse en flagrant délit et que l’infraction soit passible d’une peine de prison. Comment un simple quidam peut-il savoir si ce qu’il voit est passible d’une peine de prison ? Comment savoir si les conditions du flagrant délit sont remplies et valides, si celui qui a interpellé n’a même pas été auditionné ? ! Tolérer cela, c’est rendre possible l’arbitraire. Ce serait un danger pour tout le monde ! Je pense que nous sommes ici clairement au-delà de la légalité et je suis extrêmement surpris que les forces de l’ordre aient laissé faire cela, et que le parquet ne soit au courant de rien. C’est grave. »

Pour l’avocat pénaliste, la possibilité d’interpellation, telle qu’elle est détaillée dans l’article 73 du code de procédure pénale, est réservée « au cas où un témoin assiste inopinément à un crime ou délit grave, ou à une victime, pas à un groupe agissant masqué et chassant des émeutiers ! ».

Aucune enquête judiciaire « en l’état »

Troisième scénario possible : les interpellés ont bien été poursuivis mais pour un motif juridique différent de celui qui a conduit à leur interpellation initiale, posant peu ou prou les mêmes interrogations que pour le deuxième scénario. Samedi, le parquet de Lorient indiquait que quatre interpellations avaient été réalisées dans la nuit : un majeur « sans antécédent », convoqué en janvier 2024 devant le tribunal correctionnel pour « rébellion » et « outrage », deux mineurs âgés de 17 ans sans antécédents déférés devant le juge des enfants et placés sous contrôle judiciaire, dans l’attente d’une audience de jugement en septembre 2023, et un jeune majeur, déjà condamné et en récidive légale, renvoyé en comparution immédiate pour violences sur personnes dépositaires de l’ordre public (renvoi au 20 juillet). Les trois interpellés de la « brigade anti-casseurs » figurent-ils parmi ces personnes poursuivies ? Le parquet de Lorient n’a pas donné suite à nos questions relatives aux motifs de poursuite des trois autres interpellés.

Sollicité, à Rennes, le parquet général rappelle que « si des citoyens s’écartent des principes légaux d’intervention ou commettent une infraction, une enquête sera diligentée ». Le parquet général précise « en l’état » n’avoir été « informé d’aucune infraction ou plainte dans ce cadre. »

Source: Le Télégramme