Les débats du Tour : Hindley devient-il le principal rival de Vingegaard ? Pogacar va-t-il monter en puissance ?
Hindley devient-il le principal rival de Vingegaard ?
Julien Chesnais : Puisqu’il est le seul à demeurer devant le favori du Tour, et que Tadej Pogacar est revenu chez les mortels, du moins le temps de cette 5e étape, il peut être tentant de le penser. Après tout, Jai Hindley a déjà remporté un Grand Tour, le Giro l’an passé, et rien ne dit encore qu’il n’a pas l’étoffe d’un maillot jaune, ce Tour de France n’étant que son premier.
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Il est un danger que "Vigo", et d’autres, ont peut-être sous-estimé en le laissant prendre l’échappée sur la route de Laruns. Mais le Danois me semble tellement au-dessus du lot que je ne vois personne lui tenir tête à l’issue des trois semaines. Les 47 secondes d’avance que possède Hindley peuvent s’envoler en l’espace d’un kilomètre, dès demain sur les pentes finales de Cauterets-Cambasque.
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Principal rival, je dirais donc non. Mais principal allié, sans doute. Jai Hindley a réalisé un rêve de gosse en endossant son premier maillot jaune. Il va le défendre coûte que coûte, et le poids de la course reposera donc aussi sur les Bora-Hansgrohe, pas uniquement sur les Jumbo-Visma. La position est idéale pour Vingegaard. Il est en pole pour la victoire finale mais demeure à l’abri des obligations et de la pression intrinsèques au maillot jaune. Plus long sera le règne de Hindley, mieux ce sera pour Vingegaard. Ce n’est pas quelque chose que l’on dirait d’un principal rival.
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Simon Farvacque : Je n'irai pas jusqu'à faire de Jai Hindley le nouveau challenger n°1, à se dresser devant un tenant du titre aussi fringant que Jonas Vingegaard. Tadej Pogacar conserve à mes yeux ce statut de "principal rival" du Danois, qui a mis un coup au suspense ce mercredi. Je souscris donc globalement aux propos de Julien, mais en insistant tout de même sur le pedigree du leader de la Bora-Hansgrohe.
Il a très rarement affronté Vingegaard en haute montagne et les deux hommes participent à leur premier Grand Tour en commun, d'où un écart de niveau – certes manifeste à l'aune du Dauphiné – difficile à estimer. Deuxième du Giro 2020 à la surprise générale, l'Australien a depuis franchi un cap, avec ce fameux Tour d'Italie 2022 dans sa besace.
Hindley n'entre pas dans la catégorie des coureurs seulement "bons" à qui on laisse le maillot jaune sans danger. D'autant plus que son équipe a fière allure, avec un Emanuel Buchmann qui a lui aussi réalisé une belle affaire à Laruns et se retrouve 4e du général… comme il l'était à l'arrivée du Tour de France, en 2019.
Pogacar peut-il monter en puissance ?
Simon Farvacque : On peut l'espérer pour le suspense. Même pour Tadej Pogacar, aborder le Tour de France sans course de préparation autre que ses championnats nationaux est un problème. Le Slovène de 24 ans pâtit probablement du manque de compétition dû à sa blessure au poignet, intervenue lors de Liège-Bastogne-Liège le 23 avril dernier. On peut aisément l'imaginer retrouver du rythme, au fil des étapes.
D'autant plus que Pogacar sait finir fort en Grand Tour. Son inoubliable putsch de la Planche des Belles Filles en a attesté en 2020, un an après une Vuelta durant laquelle il avait décroché le podium en gagnant une étape de montagne la veille de l'arrivée. Le Tour 2022 échappe à la règle, mais il l'a couru de manière si désordonnée, à partir de l'étape du Granon, qu'il semble peu probant en ce sens. Le leader d'UAE Emirates pourrait bien devenir un peu plus fort chaque jour. Mais combien de temps mettra-t-il avant de redevenir le "Pogi" carnassier que l'on connaît ? D'ici-là, Vingegaard risque de l'avoir mis hors d'état de nuire.
Vingegaard : "Je suis heureux d'avoir 53 secondes d'avance sur Pogacar"
Julien Chesnais : Cette étape pyrénéenne constituait le premier test pour un Pogacar en quête de certitudes. Il est manqué. Au Pays Basque, dans la lignée du Tour 2022, le Slovène semblait jouer dans la même cour que son rival. Mais Marie Blanque a fait voler en éclat ce rapport de force, le Slovène tombant brusquement d’un étage. "Pogi" demeure celui qui a le mieux limité les dégâts sur le Danois. Mais perdre 38 secondes - c’était son retard au sommet - en un seul kilomètre d’ascension est une pilule qui lui sera dure à avaler.
Car ce coup de massue ne peut se réfugier derrière l'hypothèse d'un jour sans, comme ce pouvait être le cas au Granon l’an passé. Vingegaard n’a placé qu’une attaque, Pogacar est resté assis sur sa selle, et le match était déjà plié. Les deux poids lourds du peloton ne boxent soudainement plus dans la même catégorie et le Slovène doit forcément redouter les prochains rounds, bien qu’il ne soit pas du genre à fuir le combat, même mal engagé.
Pogacar peut tout à fait se bonifier au fil des jours, comme l’a expliqué Simon. Mais le signal envoyé ce mercredi m’inquiète assez. Ce terrain de jeu était davantage celui de "Pogi" que de "Vigo", de par leurs qualités respectives. J’ai du mal à l’imaginer monter en puissance au point de pouvoir inverser la tendance.
Vingegaard va-t-il enfoncer le clou à Cauterets-Cambasque ?
Julien Chesnais : Le terrain s’y prête bien. La montée finale de la 6e étape, avec sa portion finale de 4km à près de 10%, offre une très belle opportunité d’affirmer son pouvoir quand on est le patron. La démonstration de Vingegaard dans Marie Blanque lui accorde la preuve qu’il est au-dessus des autres, y compris de Pogacar. Alors autant jouir de sa marge actuelle pour épaissir, dès jeudi, son matelas de manière confortable. Il faut battre le fer quand il est encore chaud. Et Jumbo-Visma le sait mieux que quiconque, puisque sa stratégie de gestion en 2020 a sans doute privé du succès final Primoz Roglic, renversé au dernier moment par Tadej Pogacar alors qu’il paraissait jusque-là le plus fort.
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Pour autant, je n’imagine pas Jumbo-Visma cadenasser la course pour jouer la victoire d’étape jeudi. Pour le symbole, il est évidemment plus savoureux d’assortir un coup de force d’une belle photo les bras en l'air sur la ligne d’arrivée. Mais ce serait se donner beaucoup de peine pour 10” de bonifications. Le maillot jaune est un poids qu’ils n’ont pas à supporter, pas encore, et ils auraient tort de ne pas économiser des forces pour la suite. En fait, les événements de mercredi me font croire aux chances de l’échappée sur cette 6e étape. Hindley n’a pas intérêt à offrir à Vingegaard des bonifs. Les autres savent qu’ils n’ont aucune chance, à la régulière, face au Danois. Et ce dernier peut enfoncer le clou sans avoir à lever les bras. Qui voudra donc rouler derrière les fuyards ?
Vingegaard a mis Pogacar K.-O. dans Marie-Blanque !
Simon Farvacque : Il aurait intérêt à le faire, pour la raison évoquée dans la partie précédente de nos débats. Pogacar a la tête sous l'eau, la lui enfoncer avant qu'il ne retrouve de l'éclat serait de bon aloi. Qui plus est, Jumbo-Visma n'a pas encore gagné d’étape sur ce Tour de France 2023. Jonas Vingegaard pourrait y remédier jeudi, tout en confirmant qu'il est l'homme fort de cette 110e édition, la dimension symbolique d'un succès lors de la première arrivée au sommet en prime.
Voilà pourquoi j'imagine les Jaune et Noir verrouiller la course, veiller à ce que l'échappée ne soit pas trop imposante, avec un Wout van Aert qui contribue à filtrer les candidats à l'escapade, pour prouver que tout le monde tire dans le même sens au sein de sa formation. La situation idéale pour elle ? Un groupe de moins de dix coureurs "facile" à contrôler et repris à mi-pente, dans Cauterets-Cambasque, juste avant la terrible portion finale dans laquelle Vingegaard tentera de s'envoler. Sur ce qu'il a montré mercredi, il a de grandes chances d'y parvenir.
Tour de France Le profil de la 6e étape : Aspin, Tourmalet, Cauterets... Le grand rendez-vous pyrénéen IL Y A 2 HEURES
Source: Eurosport FR