Évincé du "château de ma mère", le petit-fils de Marcel Pagnol dénonce les tentatives d'intimidation du maire de Marseille

July 06, 2023
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Cette fois, Nicolas Pagnol ne s’embarrasse plus de précautions oratoires. Il balance. Tout. Fermement décidé à défendre son honneur et sa famille.

Le petit-fils du dramaturge n’a pas digéré son éviction du château de la Buzine, le "château de ma mère" immortalisé par son grand-père, qu’il gérait depuis 2014 dans le cadre d’une délégation de service public (DSP).

La Ville de Marseille, propriétaire du site, a d’abord choisi de le confier au Centre de culture ouvrière (CCO), une structure spécialisée dans la gestion de centres sociaux.

Elle a ensuite décidé de reprendre la structure en régie directe. Les élus phocéens seront amenés, ce vendredi, à approuver ou à retoquer ce projet.

Avant cette échéance, Nicolas Pagnol dévoile la teneur des échanges tendus qu’il a eus avec le maire de Marseille. Et appelle à l’intervention de l’État.

Vous prétendez que le maire de Marseille s’est mal comporté avec vous. Que lui reprochez-vous exactement?

Le 15 juin, après que j’ai lancé une pétition pour protester contre le choix de la Ville, Benoît Payan m’a téléphoné. Une première fois, très énervé, vers midi. Puis une seconde fois, en début de soirée. Il a tenté de m’intimider.

Que vous a-t-il dit?

Il a d’abord mentionné les rumeurs sur la transformation du château en centre social, suggérant qu’elles étaient propagées par "les amis" de la directrice de mon association (1) à son initiative – ce qui est faux! Puis il a essayé de me faire peur…

De vous faire peur?

Il m’a dit qu’il allait être "obligé" de faire un audit sur les six dernières années, "soirée par soirée", pour voir "s’il y a eu des trucs privés" et "comment a été dépensé l’argent". Comme je ne comprenais pas de quoi il parlait, il a précisé: "Vous et moi, on sait qu’il y a des photos qui circulent, on sait ce qui s’est passé…" Je lui ai répondu qu’il s’agissait de privatisations facturées à des entreprises. Tout est parfaitement légal; cela se fait même au Louvre!

Vous ne craignez pas cet audit?

Absolument pas! D’autant moins que le Département des Bouches-du-Rhône en a diligenté un, l’an dernier, qui atteste de la qualité de notre gestion. [Agacé] Il s’agit évidemment d’un coup de com’, une façon de laisser croire qu’il y aurait quelque chose de pas net dans notre travail. C’est scandaleux!

Benoît Payan affirme que votre projet coûtait 700.000 euros de plus que celui de l’association CCO qui a remporté la DSP…

C’est faux. Nous demandions 435.000 euros par an à la municipalité; la CCO sollicitait 415.000 euros. Soit un différentiel de 20.000 euros, 100.000 euros sur cinq ans. Sept fois moins que ce que prétend le maire. Le dossier du CCO regorge de chiffres fantaisistes. Avec eux, les charges de personnel passaient de 650.000 euros à 500.000 euros! Comment est-ce possible, sachant que le délégataire est tenu de reprendre l’intégralité du personnel? [Il sourit] Tout cela ne tient pas la route. C’est pour cela que la Ville s’est appuyée sur une petite erreur administrative pour annuler cette DSP et annoncer le basculement en régie directe.

Le maire a-t-il tenté de vous rallier?

Oui. Il a d’abord admis que la manière dont j’ai été traité n’était pas "acceptable". Puis il m’a assuré que "les choses pourraient continuer" avec moi, que je devrais "m’emparer" de la Buzine à la tête de l’association retenue pour l’exécution de la DSP. Comme je lui faisais remarquer que cela me semblait difficile à concevoir, il a tranché: "C’est moi qui décide". [Ironique] Ah bon, c’est le maire qui décide qui préside l’association qui a remporté un contrat public?

Vous suggérez qu’il y a une connivence entre le maire et le CCO?

Chacun jugera. Moi, je peux vous dire que ce jour-là, Benoît Payan m’a annoncé que le réalisateur Costa-Gavras avait accepté, à sa demande, d’être le "parrain" du futur projet de la Buzine. Vous trouvez normal que le maire puisse appeler un tiers afin de lui faire valider le projet d’un candidat, non encore retenu puisque les élus ne s’étaient pas prononcés, pour l’attribution d’une délégation de service public? C’est tout aussi anormal que de téléphoner à l’un des candidats pour lui conseiller, à mots couverts, de bien vouloir fermer sa gueule!

Ces accusations sont graves. Pouvez-vous prouver ce que vous avancez?

Oui. [Il sourit]

Que s’est-il passé après ces entretiens téléphoniques?

Tard dans la soirée, j’ai reçu un SMS de Jean-Marc Coppola, l’adjoint au maire de Marseille délégué à la culture. Il m’a dit "comprendre" ma "déception" et ma "blessure", avant de réaffirmer "la volonté du maire" de me donner "une place et un rôle dans la future configuration". Je lui ai répondu en évoquant "les pressions" et "les menaces directes" que je venais de subir.

Il vous a demandé des détails?

Pas du tout! Il m’a seulement écrit: "Laissons la situation s’apaiser".

Vous comprenez, tout de même, que le château appartient à la Ville de Marseille et qu’à ce titre, il est normal qu’elle veuille en disposer à sa guise?

Bien sûr. Tout comme elle dispose des musées municipaux qui sont gérés – c’est de notoriété publique – d’une manière catastrophique. Mais cela ne justifie pas les méthodes employées et les tentatives de salir ma famille. Lorsque Benoît Payan affirme dans les médias que "ce patrimoine important a été massacré suite à la décision des héritiers de Marcel Pagnol de le vendre à Kaufman & Broad" (3), c’est faux: le château a été vendu en 1973 par Marcel lui-même. Lorsqu’il ose dire que le "château de ma mère" est une "mystification", c’est une véritable infamie (4).

Selon vous, pourquoi les choses sont-elles allées si loin?

Pour satisfaire les petits appétits locaux de la municipalité, on salit l’œuvre et la mémoire de mon grand-père. L’art ne devrait jamais être au service de la politique, alors que la politique doit être au service de l’art. Voilà, en définitive, le grand désaccord qui m’oppose à la mairie de Marseille.

Vous en voulez à Benoît Payan?

Il restera l’inventeur du concept d’expropriation culturelle, le maire qui a congédié Marcel Pagnol du "château de ma mère" en utilisant des méthodes d’un autre temps. Pour la seconde fois, le garde du château en refuse l’accès à la famille Pagnol.

Si les élus marseillais votent ce vendredi la reprise du site en régie, il est exclu que vous participiez à ce nouveau projet?

Je n’ajouterai pas l’humiliation à l’injustice. Je ne participerai pas à "ce crime contre l’art, contre l’esprit, contre Marseille", comme l’a magnifiquement écrit le comédien Philippe Caubère.

Votre DSP s’arrête le 17 septembre. Et ensuite?

Soit la mairie décide de prolonger la DSP actuelle, le temps que la régie puisse prendre la suite. Soit elle refuse de prolonger la DSP et ferme le château, ce qui induit le licenciement des 24 employés et la liquidation de l’association. La Ville pourrait ensuite rouvrir le site avec du personnel municipal. [Un silence] J’espère me tromper, mais je pense que les salariés de la Buzine vont être sacrifiés.

Qu’espérez-vous?

Je souhaite que les élus marseillais ne se prêtent pas à ce simulacre et refusent ce projet. J’en appelle à l’État, afin que ce lieu d’intérêt culturel national soit protégé des aléas politiques et idéologiques. Pour qu’il continue à rayonner pour la gloire de la Provence, de la France et de mon grand-père (5).

1. Valérie Fédèle, élue conseillère municipale en 2008 sur la liste de Valérie Boyer (UMP) dans les 13e et 14e arrondissements de Marseille. Elle a abandonné toute activité politique depuis 2014.

2. Réalisateur notamment de Z et L’Aveu.

3. La Provence du 30 juin 2023.

4. Sur Franceinfo le 24 juin 2023.

5. Contacté mercredi après-midi, Benoît Payan n’a pas répondu à nos sollicitations.

Source: Nice matin