"On ne remplace pas comme ça un médecin de famille" : les galères d'une jeune généraliste pour succéder à une consœur

July 06, 2023
245 views

Succéder à une médecin de famille qui exerce depuis plus de 30 ans dans la même commune à son départ en retraite : voilà le défi de Julie, généraliste de 35 ans qui a décidé de poser ses valises dans sa région d’origine et de s’installer en libéral. Attachée à une passation “dans les règles de l’art” permettant aux patients de prendre leurs marques tout en montant en charge progressivement, la jeune praticienne qui a signé un contrat de collaboration pour deux ans avec la future retraitée a enchaîné les déconvenues qui l’ont placée dans le rouge financièrement. Elle raconte son histoire à Egora.

A première vue, l’installation de Julie* avait tout d’une installation idéale : après huit ans de remplacement, elle fait la rencontre d’une praticienne dont l'exercice lui "ressemble". Cette dernière exerce proche de la commune de Charente-Maritime dont Julie est originaire et souhaite prendre sa retraite dans les années à venir. "J’ai d’abord commencé à la remplacer à Noël", raconte la jeune généraliste de 35 ans. "Le contact a été bon pour elle comme pour moi. Elle m’a dit qu’elle comptait partir à la retraite à ses 65 ans. Quand j’ai commencé à formuler le souhait de revenir proche de ma famille, j’ai eu l’idée de lui en parler", poursuit-elle.

Car si Julie est originaire de Nouvelle-Aquitaine, c’est en région Centre-Val de Loire qu’elle a effectué son internat et ses premiers remplacements. "J’ai travaillé à Bourges, Chartres, Orléans, Tours, Blois…", précise la praticienne. "Une zone sous-dense, je sais ce que c’est, ironise-t-elle. En huit ans, j’ai vu la dégradation du système de soin en région Centre-Val de Loire, la perte de confiance de la population envers les hôpitaux locaux. On perd nos praticiens, on a des urgences de plus en plus débordées. Quand, jeune généraliste, on se retrouve avec une situation compliquée à gérer, qu’on sait qu’il faut envoyer aux urgences et que le patient répond ‘non je ne veux pas aller à telles urgences mais à celles-ci, ou encore ‘je ne veux pas aller là-bas, c’est là que ma mère est morte’... On vit des moments difficiles mais on s’accroche."

La généraliste fait plus que s’accrocher : régulatrice au Samu, effectrice de permanence des soins ambulatoires (PDSa), remplaçante, active dans les centres de vaccination pendant le Covid… Julie s’investit corps et âme une fois ses études terminées. Après la crise sanitaire, elle pense à se rapprocher de sa famille. "Je les voyais un week-end sur quatre. J’avais envie de plus, mais cela impliquait de changer de réseau de soin", se souvient-elle.

"On ne remplace pas comme ça un médecin de famille"

Julie trouve donc ce remplacement en cabinet de groupe à proximité de ses proches. "L’ambiance entre collègues était bonne, saine", explique-t-elle. Intéressée par sa volonté de s'installer, la praticienne qu’elle remplace lui propose d’abord de faire des remplacements plus réguliers le temps qu’elle déménage et transfère son dossier au bon Conseil départemental de l’Ordre des médecins. Et puis, les deux généralistes conviennent ensemble de faire un contrat de collaboration à partir du mois d’avril 2022, en attendant son départ à la retraite définitif. L’idée de ce contrat est de permettre au jeune médecin de monter en charge progressivement quand le futur retraité, au contraire, baisse en charge au fur et à mesure. "Ça fait sens dans le cas d’un départ en retraite", appuie Julie.

"Notre passation doit durer deux ans en tout, jusqu’à avril 2024. Ça nous laisse le temps de faire une transition pour la relation de soin, la relation de confiance, le transfert des dossiers… C’est apprécié de notre patientèle car je ne suis pas une médecin parachutée au départ à la retraite. C’est aussi plus confortable pour moi, je n’avais pas envie de créer une patientèle de novo. Ce n’est pas brusque, j’ai le temps de voir tous les patients en deux ans", explique Julie. "On a calculé, elle s’est installée dans le village un mois avant ma naissance ! Alors, la transmission, c’est important. On ne remplace pas comme ça un médecin de famille comme on remplacerait une quille par une autre. On parle d’humain avant tout", affirme-t-elle.

Les deux praticiennes font les choses "proprement", selon Julie. "Je lui ai laissé le temps d’annoncer son départ. Nous avons ensuite mis une affiche dans la salle d’attente pour me présenter, pour informer les gens qu’il fallait qu’ils me rencontrent en consultation pour me déclarer médecin traitant car ce n’est pas parce que je lui succède que la bascule se fait automatiquement sur la carte vitale."

Une transition en douceur qui convient à tous… "Mais le point noir dans tout ça, c’est la situation financière du jeune médecin les premières années d’installation", soupire Julie.

Hors zonage

"En m’installant dans cette commune, je suis hors zonage des zones sous-denses et c’est bien une partie du problème, ajoute la jeune femme. Pourtant, je ne suis pas en centre-ville. Cette zone péri-urbaine a gagné énormément d’habitants depuis la fin du Covid donc on a de plus en plus de jeunes actifs qui cherchent à consulter."

À cause du zonage de l’ARS, Julie n’a donc pu toucher aucune aide. "Je n’ai pas eu le droit au contrat de début d’exercice, même si je remplace un départ en retraite je ne touche rien des collectivités territoriales ou de l’Assurance maladie. La Caisse nationale d’Assurance maladie (Cnam), elle, dit qu’elle soutient les jeunes installés en majorant le forfait patientèle médecin traitant", grimace-t-elle.

En s’installant sous le statut de médecin collaborateur, Julie est "sa propre entreprise". "C’est comme un contrat de remplacement inversé. Je dois avoir mon propre appareil de carte bancaire, j’ai un compte professionnel, j’ai un comptable… bref, tous les outils d’une installée, que je suis. Je paie une redevance et reverse 20% de mes actes à ma titulaire pour payer les locaux, les abonnements, l’électricité, etc, ce qui est normal. Mes revenus sont mes honoraires et les paiements forfaitaires de l’Assurance maladie, sauf que je les touche l’année qui suit mon installation" soit en mars 2023, explique-t-elle. "Pendant un an, j’ai dû faire avec mes honoraires. Et de toute façon… je ne pouvais pas compter sur le forfait patientèle médecin traitant."

"J’ai touché 525 euros"

Du fait de son statut de collaboratrice, Julie doit en effet déclarer cet indicateur. Mais, étant tributaire de sa médecin titulaire qui n’est pas encore partie en retraite, elle n’a officiellement déclaré que...

Source: Egora.fr