Pornographie : pour protéger les mineurs, cinq sites seront-ils bloqués ?

July 07, 2023
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Après une dernière audience il y a trois mois, le feuilleton qui dure depuis deux ans touche à sa fin. Ce vendredi 7 juillet, le tribunal judiciaire de Paris doit décider de l’issue de l’affaire opposant l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom, ex-CSA) à cinq sites pornographiques – Pornhub, Xnxx, Tukif, Xvideos et Xhamster. Il leur est reproché de ne pas prendre les mesures nécessaires pour empêcher les mineurs d’accéder à leur contenu. Les mises en demeure du régulateur étant restées sans effet, c’est le blocage des sites qui est désormais en balance.

« L’Arcom veut que les sites respectent leurs obligations légales. Si besoin, en passant par le blocage », affirme Me Nicolas Jouanin, avocat de l’Arcom. Depuis le 30 juillet 2020, la loi rend obligatoire la mise en place de système de vérification d’âge sur les sites pornographiques.

Le décret d’application de ce texte, publié en octobre 2021, précise qu’une fenêtre demandant à l’internaute s’il est majeur ne suffit pas. L’article 227-24 du code pénal condamne à trois ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende la diffusion de contenus pornographiques accessibles aux moins de 18 ans. Mais pour l’heure, la plupart des sites concernés se contentent de ces simples fenêtres qui, en un clic, donnent librement accès au contenu pornographique, aux adultes comme aux enfants.

« Tout ce qui compte est la protection des enfants »

« Ce que les sites allèguent depuis le début, c’est que mettre en place un système de contrôle risque de faire partir les mineurs mais aussi les adultes qui n’ont pas envie de passer cette étape », développe l’avocat. Ils craignent une importante perte de fréquentation, ajoute-t-il. « Mais tout ce qui compte, c’est la protection des enfants. On connaît les conséquences parfois dramatiques que peut engendrer leur exposition à ces contenus. »

Dans une étude publiée le 25 mai dernier, l’Arcom estime que 2,3 millions de mineurs fréquentent des sites pornographiques. Dès 12 ans, plus de la moitié des garçons se rendent sur des sites pour adultes en moyenne chaque mois.

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Du côté des mis en cause, on se dit pourtant prêt à empêcher l’accès des mineurs aux sites. S’ils ne l’ont pas fait jusque-là, c’est parce qu’aucune ligne directrice claire n’a été donnée par l’Arcom, avance la défense de Webgroup, éditeur tchèque du site Xvideos.

Le groupe dénonce le manque de clarté de la loi de juillet 2020, qui ne donne pas de précisions quant aux mesures techniques à mettre en place. Des options existent, telles que l’utilisation d’une carte bancaire ou d’une carte d’identité. Mais ces solutions techniques pourraient entrer en contradiction avec le respect des libertés individuelles sur Internet, affirme Webgroup pour sa défense.

Déplacer le problème

Celui-ci insiste aussi sur l’inefficacité d’un éventuel blocage des cinq sites attaqués par l’Arcom : si le tribunal judiciaire donne raison à la mesure souhaitée par l’Arcom, les mineurs reporteront leur consommation sur les milliers d’autres sites existants, argumente-t-on. « Vouloir régler le problème de manière absolue est un objectif inatteignable, concède Me Nicolas Jouanin. Mais ce n’est pas parce que les mineurs trouveront toujours un moyen de contourner l’interdiction qu’on doit arrêter de combattre ce trouble à l’ordre public. »

« Quel que soit le résultat, on aura beaucoup parlé de ce problème », se satisfait l’avocat de l’Arcom. Si la justice opte pour le blocage des cinq sites pornographiques impliqués, la France deviendrait l’un des rares pays à supprimer ces plateformes de son réseau Internet. Et si le tribunal donne raison aux accusés, une nouvelle loi pourrait faire resurgir la menace : dans le cadre de l’examen du projet de loi de sécurisation de l’espace numérique, les sénateurs ont voté, mardi 4 juillet, une disposition qui doit permettre à l’Arcom de bloquer et de retirer des moteurs de recherche le référencement des sites pornographiques ne vérifiant pas suffisamment l’âge, sans passer par une procédure judiciaire, et sur simple demande du régulateur.

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Les multiples étapes de la procédure

13 décembre 2021. L’Arcom met en demeure cinq sites pornographiques (Pornhub, Xvideos, Xhamster, Xnxx et Tukif) de renforcer leurs mesures de vérification d’âge de leurs consommateurs. D’autres sites font depuis l’objet de mises en demeure.

8 mars 2022. Le tribunal judiciaire de Paris est saisi par l’Arcom. Elle lui demande de faire bloquer l’accès à ces sites.

6 septembre 2022. Audience au tribunal judiciaire de Paris. La plateforme Pornhub dépose une question prioritaire de constitutionnalité. Elle sera finalement rejetée par le Conseil d’État et la Cour de cassation.

8 septembre 2022. Le tribunal propose une médiation entre les différentes parties. L’Arcom s’en retire cinq mois plus tard.

13 avril 2023. Nouvelle audience au tribunal judiciaire de Paris. La décision est mise en délibéré au 7 juillet.

Source: La Croix