Etats-Unis : comment Yusef Salaam, accusé à tort de viol, est en passe de devenir conseiller municipal de New York

July 07, 2023
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Cet Afro-Américain de 49 ans, victime d'une erreur judiciaire en 1989, a remporté la primaire démocrate dans le quartier de Harlem.

Un parcours digne d'une fiction. A 49 ans, Yusef Salaam pourrait bien gagner un siège au conseil municipal de New York (Etats-Unis) après avoir remporté la primaire démocrate, mercredi 5 juillet, dans le quartier de Harlem. Contre toute attente, cet Afro-Américain a recueilli 63,8% des voix contre Inez Dickens (36,2%), candidate pourtant soutenue par Eric Adams, le maire démocrate de New York. Dans ce bastion du parti, il devrait logiquement obtenir son poste lors des municipales qui se tiendront en novembre, selon le magazine Forbes.

A l'issue du scrutin de mercredi, Yusef Salaam a remercié ses électeurs de lui avoir donné une "seconde chance", rapporte CNN. Une référence explicite à son passé, lui qui est connu des New-Yorkais pour avoir été l'un des "Cinq de Central Park", ces adolescents condamnés à tort à plusieurs années de prison pour le viol et le lynchage d'une joggeuse en 1989 dans le célèbre parc de la ville. Ils ont finalement été innocentés en 2002 et indemnisés en 2014. Leur histoire a d'ailleurs été adaptée en série sur Netflix en mai 2019.

"La prison est unepunition permanente"

Tout commence un soir d'avril 1989. Une joggeuse américaine blanche de 28 ans est retrouvée dans le coma à Central Park. Les analyses montrent qu'elle a été battue et violée. Très vite, l'affaire émeut la ville et cinq adolescents – quatre Afro-Américains et un Hispanique – sont arrêtés et contraints par la police d'avouer un crime qu'ils n'ont pas commis. "Je les entendais battre Korey Wise [un des adolescents] dans la pièce voisine", racontera Yusef Salaam au Guardian en 2016. "Ils venaient me regarder et me disaient : 'Tu comprends que tu es le prochain'. La peur m'a fait vraiment sentir que je n'allais pas pouvoir m'en sortir."

Cette affaire intervient dans un contexte particulièrement tendu dans la ville américaine : le crack gangrène des familles et des quartiers entiers et le taux de criminalité augmente. Cette année-là, le nombre d'homicides atteint un record avec près de 2 000 meurtres recensés, rappelle le Guardian. Le tout, une année d'élections municipales, comme le racontait New York Magazine, en octobre 2002. Preuve des tensions qui secouent la "Grosse Pomme", dans une publicité publiée au lendemain du drame, l'ex-président américain, Donald Trump, alors magnat de l'immobilier new-yorkais, demande que leur soit appliquée la peine de mort.

Il faudra attendre 2002, et les vrais aveux, cette fois, du coupable, ainsi que des preuves médico-légales attestant de sa culpabilité, pour que les "Cinq de Central Park" soient disculpés. Bien qu'innocenté, Yusef Salaam a raconté au New York Times comment cette affaire très médiatique lui a collé à la peau. Il affirme avoir été renvoyé de son premier travail dans le BTP, après que son employeur a découvert son identité. "La prison est une punition permanente", confie-t-il au quotidien.

"Si vous survivez à la prison, toutes les portes de la réussite vous seront fermées." Yusef Salaam dans le "New York Times"

Des années d'enfermement qu'il compare à un "enlèvement", auprès du NewYork Post, tout en les qualifiant de "cadeau", car il estime qu'elles lui ont permis de prendre conscience du fonctionnement de la justice américaine. "J'ai pu le voir pour ce qu'il était vraiment, un système qui essayait de me faire croire que j'étais le pire cauchemar de mes ancêtres", se souvient-il.

Engagé pour réformer la justice

Ainsi, contre toute attente, germe l'idée d'une carrière politique, peu de temps après son arrestation, confie-t-il auprès du New York Times. Yusef Salaam, musulman pratiquant, explique dans le quotidien qu'il ne pouvait s'empêcher de voir d'étranges similitudes entre son histoire personnelle et celle de son homonyme, le prophète Yusef, qui, dans le Coran, a été jeté dans un puits, vendu comme esclave, accusé à tort de viol et emprisonné.

"Lorsque j'ai commencé à envisager la politique en général, je me suis dit : 'Où puis-je avoir le plus d'impact ? Où puis-je avoir le plus grand impact ?'" Yusef Salaam dans le "New York Post"

Après son emploi dans la construction, ce père de dix enfants travaille dans le secteur technique, puis devient conférencier et écrivain. Dès lors, il s'engage pour réformer le système judiciaire américain, mais aussi contre la peine de mort, l'incarcération de masse et en faveur de meilleures conditions de détention. A 42 ans, il finit par recevoir des mains de Barack Obama, alors président des Etats-Unis, le "Lifetime Achievement Award", la récompense pour l'accomplissement d'une vie, en 2016. Juste avant que ce dernier ne laisse les clés de la Maison Blanche à Donald Trump.

Source: franceinfo