"Tu restes ici, tu tournes, ça te rend fou vite fait": migrants et demandeurs d’asile perdent leurs journées sur la coulée verte à Nice, ils nous ont confié pourquoi

July 08, 2023
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C’est un jour sans fin, qui se répète encore et encore. Avec, à la clé, la délivrance, parfois. Et bien plus souvent, la déchéance et la folie.

Ils sont demandeurs d’asile en attente d’une réponse depuis des mois voire des années ou ont déjà abandonné tout espoir. La nuit, ils peuvent dormir sur le parvis de l’église du Vœu, où ils sont en sécurité. A une condition: que le camp soit levé à l’aube. Il est alors six, sept heures du matin. Dans quinze heures seulement, ils auront le droit de revenir monter la tente, et se reposer. D’ici là, que faire?

Un groupe traîne, tue le temps

La Ville ne s’en cache pas: en annonçant vouloir faire évacuer le camp installé sur le parvis de cette église du centre-ville de Nice, elle cherche aussi à faire le ménage aux alentours, et notamment la coulée verte.

Il faut dire que la galère se voit, ici, sur l’une des vitrines de la cité. Il y a toujours un groupe d’une dizaine de personnes venues d’Afrique subsaharienne, qui traîne sur l’esplanade de la Bourgada. Ça tue le temps: on est sur son téléphone, on discute, on salue les copains SDF, et parfois ça picole, ça chante, ça crie. "C’est la cour des miracles, se plaint un lecteur de Nice-Matin. Bières toute la journée, le soir les jardins sont pleins de leurs détritus. Bien entendu, tout est laissé sur place: ils ne s’encombrent pas avec les poubelles et les toilettes."

"J’ai tourné, tourné, tourné"

Hier après-midi, Lamine débarque sur l’esplanade. Ce Sénégalais fait partie des quatre personnes dont l’identité a été relevée devant l’église du Vœu, à la suite de la procédure en référé lancée par la Ville, et doit être entendu par la justice, ce lundi. Ça fait quatre ans qu’il dort à l’église. Ses demandes d’asile ont été rejetées. "Les gens devraient savoir qu’on n’a pas d’endroit où aller. On n’est pas des clochards, on veut travailler, comme tout le monde, mais on nous demande des papiers."

"On n’a pas de quoi payer un loyer, alors on dort à l’église, poursuit-il. On est réveillés à 6 heures du matin, et on ne peut aller nulle part. Alors les gens tournent dans les rues, pour tuer le temps. Parfois, on va au Secours catholique ou au XV Corps [centre d’hébergement d’urgence]. Là, je viens d’arriver, mais j’ai tourné, tourné, tourné."

"Les gens nous prennent en photo"

Alors, ils échouent souvent sur la coulée verte, comme à d’autres endroits, où on sait qu’on retrouvera un compagnon d’infortune. Bien que les choses soient parfois tendues: "Les gens ne veulent pas qu’on reste ici, assure Mohammed, un autre Sénégalais. Certains te provoquent, pour que tu réagisses mal et ailles en prison. Ils nous insultent ou nous prennent en photo, ce n’est pas normal".

Tous parlent du "stress" et de la folie qui les guette. "Tu restes ici, tu tournes, on dort peu, mal, avec du stress, ça te rend fou vite fait", poursuit Lamine.

"Beaucoup ont fini à Sainte-Marie"

"Je n’ai plus de famille, si je n’avais pas de problème, je ne serais pas venu ici, explique Christian, 27 ans, venu du Cameroun. Il doit faire appel, après une première demande d’asile refusée. Je dois rester ici, au cas où j’aurais du courrier. On dort dans la rue, beaucoup de gens sont devenus fous, et ont fini à Sainte-Marie [le centre de soins psychiatriques]. Moi, je suis jeune, je ne veux pas devenir fou".

Ils sont nombreux à évoquer "Sainte-Marie", à avoir vu des gens tomber. Lamine regarde un de ses compères, saoul, en train d’uriner dans un buisson en criant. "Il commence à disjoncter. Je ne veux pas devenir comme ça".

Source: Nice matin