Guillaume Diop, danseur étoile : "C'est frustrant d'entendre des commentaires attribuant ma nomination à de la “discrimination positive”"
Sa nomination est historique. À 23 ans, Guillaume Diop est le premier danseur étoile noir de l'Opéra de Paris. Ce titre suprême lui revient pour son talent extraordinaire et un sens de la discipline hors norme. Le danseur incarne cet été son plus grand rôle dans L'Histoire de Manon. L'occasion de se prêter au jeu de notre interview «Autopromo».
Mon état du moment ?
Je suis sur un nuage. J'avais tellement rêvé d'être promu danseur étoile. Je revois mon parcours et je pense à mes parents qui ont fait beaucoup de sacrifices pour me soutenir. On me disait : «Il n'y a aura jamais de danseurs étoiles noirs à l'Opéra», mais dans le vocabulaire des artistes le mot «jamais» n'existe pas.
Mon actu ?
Après Le Chant du compagnon errant, un rôle passionnant et charnel que je viens d'incarner, je serai une nouvelle fois à l'Opéra dans L'Histoire de Manon. Il s'agit de mon premier grand rôle en tant que danseur étoile, avec des pas de deux très difficiles et une histoire magnifique à porter. J'aime les ballets où la danse est au service du récit. Cela demande d'être à la fois danseur et interprète. Je suis en train de répéter cinq à sept heures par jour.
En vidéo, Les danseurs de l'Opéra de Paris offrent un ballet en visioconférence réalisé par Cédric Klapish
Ma personnalité ?
Bosseur, obstiné et perfectionniste, ce qui peut être parfois toxique parce qu'il faut savoir lâcher prise. Je suis aussi un grand timide, émotif et rêveur. Mes amis disent que c'est une caractéristique des Poissons, mon signe zodiacal. Le côté hypersensible me vient de ma mère auvergnate. La volonté, certainement de mon père sénégalais, qui a énormément travaillé pour réussir quand il est arrivé en France. Il se reconnaît dans mon parcours.
Ce que j'aime qu'on dise de moi ?
Que je suis courageux, mais aussi que je n'ai pas été seul dans mon parcours. Je dois beaucoup à Aurélie Dupont, qui m'a repéré alors que j'étais à l'échelon le plus bas de la troupe : elle m'a offert en 2021 le rôle principal de Roméo et Juliette pour remplacer une étoile blessée. En moins de deux ans, j'ai dansé des grands rôles, dont La Bayadère, un ballet pour lequel je n'ai eu que trois jours pour me préparer… et ma partenaire était l'immense Dorothée Gilbert.
Ce n'est jamais évident de parler de soi, mais une interview est un moment d'introspection très intéressant Guillaume Diop
Parler de soi en promo est-il une corvée ?
L'exercice n'est pas toujours facile mais il est indispensable, car parler de soi et d'un rôle demande un travail d'analyse. Pour répondre à une interview, je dois fouiller en moi-même, accepter d'être mis en face de mes contradictions. Ce n'est jamais évident de parler de soi, mais une interview est un moment d'introspection très intéressant.
Le sujet qui me fait sortir de mes gonds ?
C'est très frustrant d'entendre des commentaires attribuant ma nomination à de la «discrimination positive». J'ai récolté les fruits d'un travail acharné. Le métier de danseur demande une vraie dévotion. Il entraîne un effort physique dur et une charge mentale très intense. Chaque équilibre est un paradis à conquérir.
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La tenue idéale pour une interview : confort ou apprêtée ?
Il faut que je me sente à l'aise. En général, je porte des grosses chaussures avec des semelles épaisses qui me mettent en confiance. Des pantalons larges streetwear, une chemise ou un sweat, qui me font sentir beau.
Suis-je en mode séduction ou en mode guerrier ?
Cela dépend. Quand il s'agit d'incarner un rôle d'exemple sociétal, je ne recule pas. J'espère que cette nomination encouragera des enfants à se lancer dans la danse au-delà de leur statut social et de la couleur de leur peau. Quand j'étais enfant, je n'avais pas d'exemples devant mes yeux pour me projeter : il y avait eu des danseurs noirs à l'Opéra de Paris, dont Éric Vu-An, mais je n'ai pas pu le voir danser, car il était déjà à la retraite.
Ce que je vais faire après cette interview ?
Je vais voir ma meilleure amie, Luna Pellier, qui est danseuse à l'Opéra de Paris. Elle m'a soutenu pour chacun de mes rôles. Elle m'envoie des petits mots si j'ai un coup de blues. Nous sommes inséparables.
L'Histoire de Manon, jusqu'au 15 juillet, au Palais Garnier, à Paris. operadeparis.fr
Source: Le Figaro