Plus de 60.000 biens immobiliers de la Côte d'Azur sont détenus anonymement, un risque de blanchiment d'argent pointé

July 09, 2023
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Six mois de travail, cinq millions de sociétés passées au crible, le cadastre français épluché dans ses moindres parcelles… Et au bout du compte, "un mur d’opacité". Tel est le titre du rapport que vient de publier Transparency International France. En collaboration avec le collectif Anti-Corruption Data Collective, cette organisation non gouvernementale (ONG) livre une monographie inédite du pays et de ses propriétaires fonciers.

Qui sont-ils? La question reste bien souvent en suspens: 11% des parcelles cadastrales qui découpent le territoire national, plus de 10 millions de ces entités foncières, sont en fait détenues par des personnes morales, le plus souvent des sociétés civiles immobilières. Alors que ces entreprises ont depuis 2017l’obligation de déclarer leurs bénéficiaires économiques, 71% d’entre elles ne l’ont toujours pas fait. En théorie elles s’exposent à des sanctions: "jusqu’à 37.000 euros d’amende et 6 mois de prison ferme", décrypte Sara Brimbeuf, coautrice de ce rapport. Or, après avoir interrogé les services de l’État, l’ONG assure qu’à ce jour, en tout et pour tout, "une seule sanction pénale a été prononcée à l’encontre d’une société pour manquement à son obligation de déclaration".

Les Alpes-Maritimes et le Var dans le top 10

Et pourtant, selon les calculs de Transparency International il y aurait ainsi en France 7,3 millions de parcelles détenues anonymement. Sans surprise certaines parties du territoire sont plus exposées que d’autres: l’ouest parisien, la Sologne "avec ses domaines de chasse", la côte Atlantique "autour de Biarritz"… Et bien sûr la Côte d’Azur. Les Alpes-Maritimes et le Var figurent tous les deux dans le top 10 des départements où le recours à une société civile immobilière pour acheter un bien est le plus fréquent. Or près d’une de ces SCI sur deux n’a pas déclaré ses bénéficiaires économiques. Ce qui porte le nombre de ces propriétés "fantômes" à 60.662 exactement!

Risque de blanchiment

Qui se cache derrière ces paravents? Là est toute la question. Car ce n’est évidemment pas par hasard que l’ONG s’est penché sur le patrimoine foncier français. "Depuis une dizaine d’années tous les rapports anticorruption soulignent le fait que l’immobilier, et plus particulièrement l’immobilier de luxe, est un vecteur privilégié du blanchiment d’argent et de l’évasion fiscale", rappelle Sara Brimbeuf. Le Conseil d’orientation de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme le rappelait encore dans son "analyse nationale des risques" de janvier. C’est l’une des raisons qui a conduit l’Europe à imposer à ses États membres un peu plus de transparence en la matière.

La France peut mieux faire

Mais "sept ans après la transcription dans le droit français de l’obligation de déclaration des ayants droit des sociétés, quinze ans après les premières affaires de biens mal acquis (1), et un an et demi après le début de la guerre en Ukraine et la traque des avoirs russe force est de constater qu’il reste des marges de progression importantes". "La France peut mieux faire, souligne la représentante de Transparency International, d’autant que c’est l’une de ses priorités affichées." Pour rompre avec cette opacité immobilière, le rapport dresse une liste de recommandations. Qui "relèvent avant tout du bon sens car en réalité la législation existe déjà", assure Sara Brimbeuf. Mais encore faut-il la faire appliquer efficacement. Avec plus de contrôles pour "dissuader toute tentative de dissimulation"… Et peut-être quelques contraintes supplémentaires. Car aujourd’hui les bénéficiaires économiques qui se déclarent n’ont même pas à fournir une preuve de leur identité!

Une clé USB pour le fisc

Quant aux sociétés étrangères elles ne sont tout simplement pas soumises à cette obligation. Mais dans ce cas elles sont en théorie soumises au versement d’une taxe annuelle assez conséquente puisqu’elle s’élève à 3% de la valeur vénale du bien! On voit mal comment cet impôt sur l’anonymat peut être recouvré par le fisc si la moitié des SCI sont sans propriétaire officiel. Transparency assure avoir posé la question à la direction générale des finances publiques. "La DGFIP nous a répondu que de son côté elle avait toutes les infos nécessaires", rapporte Sara Brimbeuf qui annonce néanmoins que pour s’assurer que l’État français ne passe pas à côté d’une manne fiscale l’ONG a bien l’intention de lui apporter prochainement "une clé USB" avec la liste des milliers de sociétés fantômes qu’elle a identifiées au travers de son enquête.

Source: Nice matin