" J’étais vraiment leur esclave "… Des alternants qui ont vécu un " cauchemar " en entreprise témoignent

July 12, 2023
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Un premier pas dans le monde du travail qui peut se transformer en véritable croche-patte pour des alternants « dégoûtés du monde professionnel ». Léa* a 26 ans. La grande brune, posée dans ses Docs en a vu de toutes les couleurs durant ses jobs étudiants estivaux. « Mais rien à voir avec mon alternance », prévient-elle. L’étudiante en Design à Toulouse s’est vue proposer une jolie opportunité avec une équipe « ouverte et sympa », comme elle l’explique, avant de totalement déchanter. « J’ai vite compris que j’étais là pour occuper un poste au même titre que les autres CDI. Mon tuteur et mes chefs me donnaient du travail, n’étaient jamais contents mais ne m’apprenaient rien. Forcément que je ne suis pas au même niveau que quelqu’un qui a 20 ans de carrière ».

Les mois passent et Léa commence à vivre l’enfer : « Toujours des remarques déplacées. Toujours à me dénigrer quand ils ne m’ignoraient pas. C’était devenu un cauchemar. Je savais, en plus qu’ils faisaient exprès de me pousser à bout pour que je parte de moi-même car j’étais invirable. Tout ça parce qu’ils estimaient qu’ils me payaient assez pour faire le travail des autres. Il faut voir le salaire d’un alternant quand même et les aides qu’ils ont derrière ! », s’agace la jeune toulousaine. Ces aides de l’Etat peuvent aller jusqu’à 6.000 euros par an et par alternant. Ce dernier perçoit, lui, en moyenne un salaire allant de 800 et 1.000 euros entre 18 et 25 ans.

Aujourd’hui Léa est sereine, en alternance ailleurs, loin de ses anciens chefs, mais le mauvais rêve aura quand même duré un et s’est conclu par un arrêt maladie pour dépression. « Le médecin m’a mis sous antidépresseur. Je ne pouvais plus penser au travail sans pleurer… Ça m’a véritablement dégoûté ». Et elle n’est pas un cas particulier.

« C’est un effet d’aubaine à cause des aides de l’Etat. Que ces contrats soient utilisés de manière abusive ne m’étonne pas », assène Cécile Villard, avocate spécialisée en droit du travail à Toulouse. « L’entreprise doit être dans une optique de formation. Un chef d’entreprise n’a pas le droit de considérer un alternant comme un salarié normal. On ne peut pas embaucher un alternant ou encore prendre un stagiaire pour remplacer un salarié. On est dans le faux à ce moment-là », ajoute l’avocate.

« Je suis devenue référente alors que j’étais alternante payée 850 euros »

Occuper le poste d’un salarié lambda ? Le quotidien pour Marie, une internaute de 20 Minutes. Au bout de deux mois, l’étudiante n’avait déjà plus de superviseur. Au bout de six mois, « on m’a demandé de reprendre une partie d’un service en remplacement d’un arrêt maladie longue durée. J’étais en capacité de réaliser 90 % des tâches que mes collègues effectuaient. Je suis même devenue référente sur tout un type de réalisation de produits alors que je n’avais que quelques mois d’expérience », développe-t-elle. Un gain d’expérience, certainement, mais pas de gain pour le porte-monnaie. Cette « référente » – une valeur sûre pour l’entreprise – était payée 850 euros par mois. Du haut de ses 24 ans et après deux ans d’expérience, Marie se questionne : « Mieux encadrer, mieux rémunérer… ? Force est de constater que tous les mécontentements liés à l’alternance ne sont que le résultat de ces politiques qui veulent mettre les jeunes le plus rapidement au travail et au service des entreprises à un coût dérisoire. La véritable question est jusqu’à quand cela va-t-il être accepté ? »

Des aides juridictionnelles pour ceux « qui n’ont pas les moyens »

Jusqu’à ce qu’on en parle peut-être. « Plus l’inspection du travail sera alertée, plus elle regardera ce qu’il se passe », souligne Cécile Villard. « Il ne faut pas non plus hésiter à faire appel à un avocat. Certains ont déjà une protection juridique. Et pour ceux qui n’ont pas les moyens, il faut savoir qu’il existe l’aide juridictionnelle », conseille la spécialiste qui a déjà pu aider des jeunes avec ce type de dossier.

Julien de son côté a préféré jeter l’éponge avant que ça n’aille trop loin. L’étudiant en marketing jouait « les formateurs pour les stagiaires alors que personne ne [l]’avait jamais formé avant ». « Je suis assez indépendant et ça ne me dérangeait pas plus que ça, confie-t-il. Mais voir mes chefs partir en apéro alors que je devais rester bosser tard pour le peu que je gagnais, j’ai halluciné. J’étais vraiment leur esclave 2.0 », témoigne le nouveau jeune cadre dynamique. « Quand je les ai mis devant le fait accompli, ils m’ont bien montré que je n’avais pas mon mot à dire car je n’étais "qu’un petit alternant " et que je devais aller voir ailleurs si ça ne me plaisait pas. C’est ce que j’ai fait », réplique-t-il. Aujourd’hui en CDI dans une grande boîte, Julien estime que « ce plongeon dans le grand bain n’était pas nécessaire. C’était une trop grosse claque d’être autant méprisé. Je n’étais pas un cas à part dans mon école, et ça se passait souvent dans des petites entreprises et des start-up. On utilisait les alternants pour se faire de l’argent dessus. Je ne comprends toujours pas comment on peut encore laisser passer ça », argumente-t-il se promettant que jamais il ne se comportera ainsi « avec les petits jeunes ».

* Le prénom a été modifié

Source: 20 Minutes