"Dans la police, nous recrutons souvent des enfants qui n'ont pas fait de grandes études" : retour sur les propos de Gérald Darmanin qui ont fait polémique

July 13, 2023
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Auditionné au Sénat sur les violences qui ont suivi la mort du jeune Nahel, le ministre de l’Intérieur a provoqué la colère de certains policiers en mentionnant leur faible niveau d'études… Avant de s'expliquer, quelques jours plus tard.

Une phrase qui a beaucoup fait réagir. Quelques jours après son audition au Sénat, le 5 juillet, sur la gestion par les forces de l'ordre des violences ayant suivi la mort de Nahel, cet adolescent tué par un tir policier à Nanterre (Hauts-de-Seine), Gérald Darmanin s'est retrouvé sous le feu des critiques. En cause : ses propos sur la formation des policiers.

"Faut-il mieux sélectionner les policiers ? Très certainement", a répondu le ministre de l'Intérieur à la sénatrice socialiste de Paris, Marie-Pierre de La Gontrie, avant de poursuivre : "Je suis à la tête d'un ministère où, à part les commissaires de police, ceux que nous recrutons, ce sont souvent des enfants, pour reprendre votre mot, de 18, 19, 20 ans, qui n'ont pas fait de très grandes études. Je ne suis pas à la tête du ministère de la Justice, où les gens passent des concours à bac +4, ou bac +5, ou à l'Education nationale, où les gens sont très mal payés par ailleurs, comme les policiers, mais enfin, ils ont un capital social très important."

Cet extrait est d'abord passé inaperçu, avant d'être massivement relayé, deux jours plus tard, sur le compte d'une internaute se présentant comme une policière sur Twitter, où il a été vu plus de 2 millions de fois. La polémique a pris de l'ampleur à mesure que la séquence était repartagée, notamment par des membres des forces de l'ordre mais pas seulement, via les hashtag #TousCrétinsdeDarmanin ou #Balancetonbac. Tous se montrent très critiques envers cette sortie du ministre, regrettant ce qu'ils perçoivent comme une forme de mépris.

Des propos jugés "maladroits"

Le concours de gardien de la paix est accessible à toute personne titulaire du baccalauréat ou un diplôme de niveau équivalent. Celui d'officier requiert un bac +3, tandis que le concours de commissaire de police nécessite un bac +5. D'après les statistiques de l'Insee, publiées en 2021, les personnels de catégorie B, comprenant les gradés – gardiens de la paix, brigadiers, brigadiers-chefs et majors de police – de la police nationale, ainsi que les sous‑officiers de gendarmerie, représentent 83% des 224 000 policiers et gendarmes employés en France. Les agents de catégories A et A+, comprenant les commissaires et les officiers de police, représentent 7% des effectifs. Les 10% restant sont des personnels non titulaires de catégorie C, soit des adjoints de sécurité et les gendarmes adjoints volontaires.

Rapidement, des syndicats de police se sont positionnés sur le sujet, comme Alternative Police CFDT, qui a jugé dans un tweet que ces propos étaient "offensants", assurant que "de nombreux policiers sont surdiplômés par rapport au concours" et qu'un "diplôme ne peut être le seul critère pour faire un policier de valeur". Matthieu Vallet, secrétaire national adjoint du syndicat indépendant des commissaires (SICP), estime également "que ces déclarations sont très maladroites et ont blessé beaucoup de policiers", même si, dans ses propos, Gérald Darmanin a fait une distinction entre le niveau requis pour être commissaire et pour les autres grades.

Dans un communiqué au vitriol publié le 9 juillet, l'Association nationale de police judiciaire (ANPJ) s'est dite "scandalisée et condamne avec fermeté ces déclarations". "Quel mépris et quelle méconnaissance des hommes qu'il dirige ! De tels propos portent l'opprobre sur toute une profession", a-t-elle dénoncé. Sur Twitter, un autre hashtag a d'ailleurs accompagné la vidéo du ministre de l'Intérieur : #GoodByePJ, en référence à la très contestée réforme de la police judiciaire souhaitée par Gérald Darmanin. L'ANPJ a d'ailleurs été créée durant l'été 2022, pour réunir les policiers s'y opposant.

Fabrice Fagnani, secrétaire zonal côté CRS au sein d'Unité-SGP Police FO, reconnaît également auprès de franceinfo que ces propos ont été "très maladroits", mais nuance : "Le ministre n'est pas dans le faux pour autant" car "beaucoup passent le concours d'entrée dans la police juste après le bac".

"Est-ce que le niveau d'études fera que l'on aura un bon ou un mauvais policier ?"

Thierry Clair, secrétaire général adjoint de l'Unsa-Police, partage son constat. "Effectivement, de très jeunes collègues entrent dans la police sans expérience universitaire ni professionnelle : c'est leur premier emploi, c'est une réalité", observe-t-il auprès de franceinfo. Mais il explique aussi qu'"il y a beaucoup de policiers surqualifiés, avec un niveau scolaire bac +3, bac +4, qui sont gradés ou gardiens de la paix".

Pour Fabrice Fagnani, le problème n'est pas d'avoir de jeunes policiers : "Imposer un recrutement à bac +2 ne changerait pas grand-chose en termes de maturité." La vraie question, selon lui, est plutôt : "Est-ce que le niveau d'études fera que l'on aura un bon ou un mauvais policier ?"

"Sur un PV, si vous oubliez un 's' ou 't', vous n'êtes pas mauvais pour autant. L'essentiel, c'est d'avoir des fonctionnaires motivés." Fabrice Fagnani, secrétaire zonal au sein d'Unité-SGP Police FO à franceinfo

"Je connais plein de policiers qui n'ont pas réussi le concours d'officier, alors qu'ils auraient fait l'affaire", relève le syndicaliste. Et de poursuivre : "Vous recruteriez à niveau CAP, certains seraient très bons", précisant "que l'expérience compte énormément pour être à l'aise sur le terrain". C'est pour cette raison, selon lui, qu'"il faut arrêter de mettre les jeunes les moins expérimentés dans les secteurs les plus difficiles, pour lesquels ils ne sont pas assez préparés".

Thierry Clair estime également que le sujet n'est pas tant l'âge d'entrée dans la police que la formation, se réjouissant au passage que la formation initiale des gardiens de la paix soit passée de huit à douze mois, sur décision de Gérald Darmanin en 2021. "Il y a un déficit de formation continue, l'accent doit être mis sur le recrutement des formateurs et davantage de mise en situation sur les techniques d'intervention, notamment concernant le tir", souligne-t-il.

Gérald Darmanin s'explique

En déplacement à l'Ecole nationale de police (ENP) d'Oissel, près de Rouen (Seine-Maritime), mardi 11 juillet, le ministre de l'Intérieur a rejoint ce constat d'un besoin urgent d'améliorer la formation des policiers. Il est longuement revenu sur sa prise de parole face aux sénateurs et a également accordé un entretien sur le sujet au média en ligne Actu17. "Si des propos ont blessé et été mal interprétés, je les regrette", a-t-il déclaré, rappelant être lui-même "issu d'un milieu très modeste, sans grand diplôme". "Si on avait un minimum d'honnêteté intellectuelle, on s'apercevrait que l'ensemble de l'audition est évidemment un soutien très fort à la police nationale", a poursuivi Gérald Darmanin, regrettant avoir été jugé sur "46 secondes" après "1h26" passée au Sénat.

Le ministre maintient néanmoins que les policiers "ont fait des études moins importantes que leurs autres collègues fonctionnaires", rappelant qu'"il faut au minimum un niveau bac +4" pour passer les concours de la magistrature. "C'est, par conséquent, une responsabilité supplémentaire de leur administration, de les former davantage", a-t-il insisté, regrettant "que seulement 60% des policiers" fassent "leur trois séances de tirs annuelles".

Le locataire de la place Beauvau a également dit s'interroger sur le concours actuel d'entrée en école de police, affirmant préférer "l'oral à l'écrit pour mieux cerner les motivations" et suggérant la nécessité de mettre en place "un travail d'accompagnement pour déterminer quel type de policiers on veut, plutôt que de seulement élaborer des techniques qu'ils vont ensuite apprendre à l'école de police."

Source: franceinfo