Qui sont ces nouveaux riches qui bousculent les codes de l'investissement ?
"Cette nouvelle vague s'est amplifiée au cours des cinq dernières années avec un rythme de cessions de plus en plus rapides, ce qui a largement contribué au rajeunissement des fortunés, souligne Aurélia Verchère, directrice du développement de la gestion privée à Lazard Frères Gestion, à Paris. Ils se projettent moins dans la durée, mais se révèlent plus impatients et plus exigeants."
Tuer le père. C'est bien ce que font la plupart des enfants au moment de leur émancipation. Les jeunes nantis en font-ils autant lorsqu'il s'agit de gérer leur patrimoine? Si les héritiers accèdent de plus en plus tard à la fortune familiale, il émerge depuis une bonne dizaine d'années une nouvelle catégorie: les jeunes entrepreneurs s'étant enrichis avec la vente de leur start-up. Ils se retrouvent à la tête de fonds qu'ils vont avoir à cœur de réinvestir soit dans une autre entreprise, soit dans une nouvelle aventure entrepreneuriale, ou tout simplement dans un portefeuille de valeurs mobilières. Ils ont entre 25 et 40 ans et, pour certains, peu de culture financière, même pour les plus diplômés.
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Pour satisfaire ces demandes, les gérants de fortune se doivent eux aussi d'évoluer. Chez Lazard Frères Gestion, cela s'est notamment traduit par un rajeunissement des équipes, une façon plus moderne d'aborder cette clientèle via les réseaux sociaux comme LinkedIn, le lancement d'une application mobile et l'organisation d'événements ou de clubs dédiés comme Lazard Young Leaders. "Ils ont souvent des positions affirmées dans beaucoup de domaines, sont généralement surinformés, mais restent demandeurs d'explications et curieux de notre expérience d'investisseurs de long terme", assure Aurélia Verchère.
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Réseautage et afterworks
De son côté, Jean-Baptiste Douin, directeur général de Pictet Wealth Management, est tout aussi affirmatif: "C'est une génération connectée via les réseaux sociaux. Oubliez l'e-mail avec une pièce jointe de 20 pages, ils préfèrent un post concis, du contenu pertinent et beaucoup de conseils. Nos séminaires Next Gen les rassemblent pour leur permettre d'échanger et d'étendre leurs réseaux à l'international." Détail intéressant, ces nouveaux riches s'inscrivent complètement dans leur temps et sont très sensibles aux sujets de discrimination et d'inclusion. Aussi, fini les invitations à des concerts de musique classique dans les hauts lieux du luxe. L'heure est aux afterworks sur les rooftops les plus branchés, avec interdiction d'inviter les parents! Ces jeunes entrepreneurs adorent se retrouver entre eux pour parler business, échanger de bons tuyaux et jouir du présent autour d'un verre.
"Ils nous poussent à améliorer nos compétences techniques, à innover en matière d'offre, car ils veulent plus de produits sur mesure, et sur des classes d'actifs plus diversifiées que leurs aînés", ajoute Hervé Mercier Ythier, président du directoire de Swiss Life Banque privée. Ils se dirigent ainsi volontiers vers des actifs non cotés, via des fonds ou en direct, des actifs réels ou responsables, comme des parts de forêt, sans oublier les crypto-actifs. Si ces nouveaux d'investisseurs appréhendent leur avenir différemment, c'est aussi parce qu'ils ont rapidement monétisé tout ou partie de leur entreprise, parfois moins d'une décennie après l'avoir créée.
"Ils doivent transiter d'une position d'entrepreneur à une position d'entrepreneur-investisseur", comme le fait remarquer Henri Grellois, cofondateur d'Octave Family Office et administrateur de l'AFFO (Association française du family office). "Cette population est pragmatique et souhaite surtout réinvestir dans son écosystème, celui qui l'a fait grandir. Si elle peut avoir un impact positif sur son environnement, elle le fera volontiers", explique Audrey Koenig, directrice générale de Natixis Wealth Management, qui reconnaît qu'elle a effectivement dû revoir de nombreux process en interne pour aborder cette nouvelle clientèle.
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Développer l'esprit entrepreneurial des jeunes générations
Du côté des héritiers, les demandes semblent, elles aussi, assez divergentes de celles de leurs aînés. Certes, ils sont plus familiers avec les questions d'argent, sans pour autant avoir des avis tranchés sur la façon de le faire fructifier. "Ce sujet est d'autant plus d'actualité que nous sommes à la veille d'un vaste mouvement de saut de génération, les baby-boomers étant sur le point de transmettre leur fortune à leurs enfants, détaille Jean-Baptiste Douin. Ce potentiel de transmission est évalué à 3.200 milliards d'euros à l'échelle européenne."
Soirée Tech Night, de Rothschild & Co (en haut à dr.), avec Alexandre de Rothschild (ci-dessus), en septembre 2022. Les start-uppers sont friands de ces événements, pour allier réseautage et investissement. (SP)
En Europe, 3.200 milliards de dollars seront transmis aux enfants de baby-boomers d'ici à 2045. Dans le monde, ce montant s'élève à 84.000 milliards de dollars, et 1.900 milliards de dollars en Asie.
Source : Cerulli associates.
Avant d'en arriver là, des financiers et grands patrons français se mobilisent pour développer l'esprit entrepreneurial des jeunes générations, les familiariser avec l'entreprise et former les licornes de demain. C'est avec cet objectif que s'est créée l'Albert School, dirigée par Grégoire Genest. Notamment financée par Xavier Niel et Bernard Arnault (actionnaire de Challenges), l'école rassemble également de grands noms de l'industrie et de la finance pour parrainer les masters proposés. C'est le cas d'Ariane de Rothschild, marraine du master Data for Finances, qui accueillera au sein de sa célèbre banque des étudiants dans le cadre de programmes d'immersion. L'occasion aussi de fidéliser de futurs clients.
"On me ventait des produits financiers bien trop complexe", Gabriel Cian, jeune start-upper qui a opté pour l'immobilier et les ETF
Gabriel Cian fait partie de cette génération - il a 41 ans - qui ne se voyait pas travailler pour quelqu'un d'autre. Dès sa sortie d'école d'ingénieurs, il monte sa première start-up. En 2016, il crée une structure spécialisée dans le domaine de l'IA et du big data. Un franc succès. Au point qu'en 2021, un groupe américain lui propose de la racheter à un prix que Gabriel Cian ne peut pas refuser. Résultat, il est aujourd'hui à la tête d'une fortune qu'il gère au plus près. "Cette situation m'a complètement pris de court. Je n'avais aucune culture financière, alors je m'y suis mis pour savoir où je pouvais placer efficacement mon argent." Il commence par lire beaucoup, prendre contact avec des banques privées, des conseillers en gestion et des family offices.
"Ce que la plupart d'entre eux m'ont proposé ne correspondait pas à mes attentes. On me vantait des produits bien trop complexes et je sentais un désalignement d'intérêt flagrant. De plus, de nombreuses banques travaillent encore à l'ancienne, je souhaitais de la réactivité." Finalement, il n'en a retenu que quelques uns, privilégiant une relation personnelle plutôt que l'image de marque des établissements. Les cryptomonnaies, il en a, mais pas trop. Trop volatil pour lui. Il préfère l'immobilier proche de chez lui, à Aix-en-Provence, les ETF, qui représentent 50% de ses avoirs, un peu de cash pour saisir rapidement des opportunités, et des réserves afin de financer son prochain projet autour des thérapies cellulaires pour combattre les effets du vieillissement.
Source: Challenges