Retraites : malgré une mobilisation significative, l'exécutif mise sur une nouvelle phase avec les syndicats

May 01, 2023
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Par Alain Ruello, Isabelle Ficek

Publié le 1 mai 2023 à 18:48 Mis à jour le 1 mai 2023 à 19:13

Ils voulaient « casser la baraque », pour reprendre les mots du secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger. En ce 1er mai unitaire, le dernier datant de 2009, l'intersyndicale renforcée de plusieurs dizaines de représentants syndicaux étrangers n'a pas complètement réussi son pari : l'appel à manifester contre la réforme des retraites, treizième de rang et surtout premier depuis que la loi a été promulguée , a réuni beaucoup de monde, sans constituer le raz-de-marée espéré.

Les 300 points de rassemblement en France ont rassemblé 2,3 millions de manifestants dans toute la France, selon la CGT, dont 550.000 à Paris. Le ministère de l'Intérieur a avancé des chiffres bien différents, 782.000 et 112.000 respectivement. Selon Occurrence, le cabinet mandaté par plusieurs médias dont « Les Echos », 94.000 personnes ont battu le pavé dans la capitale. L'un dans l'autre, les chiffres sont fournis, signe que la mobilisation ne s'est pas essoufflée.

Et après ? Tous les regards seront tournés ce mardi vers l'intersyndicale pour savoir si une quatorzième journée sera décidée et, surtout, connaître la réponse à l'invitation d'Elisabeth Borne de « bâtir » l'agenda social post-retraites . Même si les syndicats maintiennent leur opposition à la réforme, un début de divergence semble apparaître pour la suite du mouvement.

Pour la nouvelle secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, rien ne retournera à la normale tant que la réforme ne sera pas retirée. Son alter ego de FO, Frédéric Souillot, a renvoyé à la réunion de ce mardi avant de décider s'il ira ou non à Matignon. En attendant, « nous continuerons à nous mobiliser pour faire reculer le gouvernement », a-t-il déclaré au « JDD ».

Exigences fermes

Même volonté de continuer le combat côté CFDT, mais sous une forme différente maintenant que la loi est promulguée. « La CFDT n'est ni pour l'activisme, ni pour des actions coups de poing, ni pour emmener les travailleurs dans le mur en leur faisant croire que le président peut retirer la réforme », a déclaré Laurent Berger ce dimanche lors du Grand Jury RTL-« Le Figaro »-LCI.

En clair, pas question de manifester pendant six mois et volonté affichée de renouer le dialogue, mais en posant des exigences fermes. Obligation de négocier l'organisation de travail, vrai compte épargne-temps universel (avec abondement de l'employeur), dialogue social « professionnel », conditionnalité des aides aux entreprises… « Tout va coûter plus cher pour la CFDT », a prévenu le leader de la CFDT.

Du côté de l'exécutif, on veut voir avec cette journée le début d'une nouvelle phase. En dépit de la mobilisation « encore importante » dixit un conseiller, de l'opposition à la réforme toujours élevée dans l'opinion et des appels à « continuer la lutte […] pour le retrait » de l'Insoumis Jean-Luc Mélenchon.

« Pour nous, c'est plutôt une bonne nouvelle d'avoir passé cette journée, avance un ministre. Les syndicats vont effectivement devoir se poser la question de revenir autour de la table. » « Les réformistes, leur raison d'être, c'est de négocier des améliorations. Au nom de quoi diraient-ils non ? » poursuit-il, tout en prévenant qu'il va falloir « savoir leur redonner un espace » pour reprendre langue et obtenir des résultats, ce qui ne sera ni facile ni rapide. Le président du Modem, François Bayrou, a parlé ce lundi sur LCI, d'une « nouvelle phase marquée par la nécessité de cicatrisation et de réconciliation ».

Parallèlement à ces tentatives pour reprendre langue, l'exécutif va surveiller de près la décision du Conseil constitutionnel ce mercredi sur le deuxième référendum d'initiative partagée déposé par la gauche . Personne n'imagine vraiment au gouvernement qu'il pourrait être validé. Autre étape, l'examen le 8 juin de la proposition de loi du groupe Liot pour abroger la réforme des retraites. Si elle a peu de chance de faire un parcours législatif complet, son passage à l'Assemblée risque d'être un moment difficile pour la majorité.

La technique du salami

Emmanuel Macron, lui, va continuer avec sa stratégie de déplacements cette semaine et d'annonces. « Son idée est que le curseur passe des casserolades à l'engueulade sympa. S'il fait ça, il a gagné », veut croire un proche du chef de l'Etat. « Si d'ici le 14 juillet , on arrive à marquer des points dans trois registres - des textes votés, des chantiers qui avancent et des casserolades qui se calment - le président pourra tirer un premier bilan positif et donner rendez-vous à la rentrée, espère un ministre. Sinon… ce sera pire. »

A ce titre, la dégradation de la note de la France par l'agence Fitch , pointant « l'impasse politique » et les « mouvements sociaux » comme un « risque pour le programme de réformes » est une mauvaise nouvelle qu'Emmanuel Macron va tenter de contrecarrer, étape par étape.

« Emmanuel Macron n'a pas d'autre choix que de construire des séquences courtes qui s'enchaînent. C'est la technique du salami. Quand le morceau est trop dur à avaler, relève un proche du chef de l'Etat, on le coupe en tranche en espérant que chaque tranche sera meilleure que la précédente. » Un pari ardu.

Source: Les Échos