En Côte d’Ivoire, l’empire à deux têtes de Sifca

July 16, 2023
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Jean-Louis Billon, héritier de l’empire Sifca, alors ministre du commerce, le 24 mars 2015, à Abidjan. SIA KAMBOU / AFP

Les rues sentent le chocolat. A Treichville, quartier industriel d’Abidjan, les longues enfilades d’entrepôts exhalent la moitié de l’année une odeur suave. Celle des fèves qui transpirent dans la touffeur ambiante. C’est dans cet environnement stratégique pour la Côte d’Ivoire, premier exportateur mondial de cacao, que se dresse toujours le siège de Sifca. Comme pour rappeler que ce mastodonte d’Afrique de l’Ouest, qui vit aujourd’hui de l’huile de palme et du caoutchouc, a construit sa fortune grâce aux précieuses fèves.

Le premier employeur privé du pays qui compte aujourd’hui 30 000 salariés, dont 18 000 permanents et a engrangé un chiffre d’affaires de 689 milliards de CFA (1 milliard d’euros) en 2021, occupe un immeuble un brin désuet de plusieurs étages. On y trouve quantité de bureaux, bien sûr, mais aussi de souvenirs. Dès l’entrée, le visiteur est accueilli par un sourire énigmatique surmonté d’épaisses lunettes noires aux verres orangés : « Pierre Billon, fondateur du groupe Sifca », annonce la légende. A travers les services, d’autres clichés, encadrés d’un bois sombre orné de dorures, présentent les dirigeants historiques, serrant la main d’officiels ou tapant fraternellement la balle. Un côté boîte familiale dans son jus. Version famille recomposée.

D’un côté, les Billon. Au début des années 1960, dans une Côte d’Ivoire tout juste indépendante, l’homme aux lunettes noires est l’un des rares Ivoiriens à posséder une entreprise. Métis, Pierre Billon est né d’un père français et d’une mère ivoirienne de Dabakala, centre administratif alors perdu dans le nord-est. Il a hérité de l’usine d’huiles essentielles fondée par son père, qui exporte ses fragrances de bergamote et de citronnelle pour des parfumeurs renommés comme Dior et Guerlain.

Années flamboyantes

Pour la Côte d’Ivoire, ce sont de premières années d’indépendance flamboyantes. Le pays reste à construire, l’argent du cacao coule à flots et le président Félix Houphouët-Boigny voit grand. On inaugure l’Hôtel Ivoire, dont l’immense piscine semble reproduire les méandres de la lagune Ebrié, qui s’étend à ses pieds. C’est Dubaï avant l’heure : l’établissement s’enorgueillit d’une patinoire, la seule d’Afrique. Le chef de l’Etat rêve aussi de champions ivoiriens pour construire son pays : Pierre Billon sera de cette poignée d’élites soutenues par le pouvoir qu’on appelle encore aujourd’hui les « grandes familles ».

Le patriarche se lance en 1964 dans l’exportation de cacao et de café en s’associant à un Français. Les affaires vont bien et, dès les années 1970, le négociant devient industriel en s’aventurant dans le broyage du cacao. Dans la tradition familiale, Billon est ingénieur, formé aux Ponts et chaussées, à Paris. Les défis techniques ne le rebutent pas. « Un grand monsieur notre papa », affirme son fils aîné Jean-Louis. Ceux qui l’ont connu évoquent un homme loyal, mais prompt à diviser pour mieux régner. « Très élégant », « de l’esprit », « très excessif » aussi, se souvient un partenaire. « Mais attention ! Excessif comme une qualité, et en tout : dans sa reconnaissance comme dans ses colères », précise-t-il.

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Source: Le Monde