Quelle démocratie veut-on ? La citoyenneté au centre des débats du Festival international de journalisme de Couthures

July 16, 2023
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Thomas Legrand, journaliste à « Libération », lors du « Vrai-faux procès de la démocratie représentative », au Festival international de journalisme de Couthures-sur-Garonne (Lot-et-Garonne), samedi 15 juillet 2023. CAMILLE MILLERAND / DIVERGENCE POUR LE MONDE

L’utilisation du 49.3 pour la réforme des retraites leur est restée en travers de la gorge. Au centre du village de Couthures-sur-Garonne (Lot-et-Garonne), certains visiteurs du Festival international de journalisme – organisé par le groupe Le Monde (Le Monde, Courrier international, le HuffPost, Télérama et La Vie) et L’Obs, du vendredi 14 au dimanche 16 juillet – ont tenu à afficher leur colère face aux institutions et à l’exercice du pouvoir par Emmanuel Macron. « Démocrateur » ou « Stop à l’homme providentiel », pouvait-on lire sur des petits mots qui en côtoyaient d’autres sur un mur d’expression libre. « N’essayez pas autre chose que la démocratie », prévenait l’un d’eux.

Pour sa septième édition, le festival a repris ses marques dans ce village de 380 habitants désormais habitué à se transformer, trois jours durant, en un lieu d’échanges entre journalistes et « consommateurs » d’informations. Cette année, 8 500 personnes (en « cumulé ») ont répondu présentes, soit une hausse de 28 % de la fréquentation par rapport à 2022. Aux côtés de la révolte des femmes en Iran, des métamorphoses du rugby, de la santé mentale, de l’essor de l’intelligence artificielle ou du rôle de l’audiovisuel public, un sujet s’est imposé : « La démocratie peut-elle disparaître ? »

Vendredi, les festivaliers ont échangé pendant deux heures avec l’invité d’honneur du festival, l’écrivain italien Roberto Saviano, opposant déclaré au gouvernement de Giorgia Meloni. « Le gouvernement d’extrême droite au pouvoir en Italie préfigure peut-être le futur de la France », a alerté l’auteur de Gomorra, livre de référence sur la mafia napolitaine. « C’est pour cela que la France doit observer mon pays comme un laboratoire, avec attention », a-t-il ajouté.

« Un régime qui va de plus en plus vers l’autoritarisme »

Samedi 15 juillet matin, un (faux) procès de la démocratie représentative a passionné le public sous la grande tente des Peupliers. Pendant que la militante écologiste Mathilde Imer jouait le rôle de la procureure, Thomas Legrand, éditorialiste à Libération, se faisait l’avocat de la défense. Après deux heures de débats enflammés ponctués d’éclats de rire, la majorité des festivaliers a voté son attachement à la démocratie représentative, tout en étant très critique de son évolution actuelle.

« La France est un régime qui va de plus en plus vers l’autoritarisme », s’est inquiétée une jeune festivalière, dénonçant « un pouvoir voulant criminaliser des manifestants écologiques qui soulignent l’urgence climatique, ou évoquant l’idée de couper Internet dans certains quartiers en cas d’émeutes urbaines. »

Si certains festivaliers goûtent à la gastronomie locale, lors de la pause déjeuner en plein air, d’autres réfléchissent à la manière d’améliorer le système démocratique français, en échangeant avec les invités de la table ronde « Comment sortir la démocratie de sa “fatigue” ». « La proportionnelle intégrale peut être un danger, comme on le voit en Israël, où les petits partis peuvent monnayer très cher leur participation au gouvernement », alerte l’historien Jean-Noël Jeanneney.

« La proportionnelle permet la diversité d’opinions », prône, quant à lui, Dorian Dreuil, coprésident de l’organisation non gouvernementale A Voté et responsable « plaidoyer » au sein de l’association Démocratie Ouverte. « On peut créer de la coconstruction avec une proportionnelle qui ne serait pas intégrale et n’entraînerait pas forcément d’instabilité », veut-il croire. « On ne parle que d’échelle nationale, mais on omet l’échelle locale qui est essentielle pour la démocratie », s’agace ensuite M. Jeanneney.

« La clé, c’est la démocratie délibérative »

Mathilde Imer, l’ancienne tête pensante de la Primaire populaire, et le sociologue Vincent Tiberj promeuvent ensemble le « jugement majoritaire » rappelant que ce système de notation est supposé mieux exprimer les opinions des électeurs et éviter les « effets pervers » du scrutin uninominal. « Plus largement, la clé, c’est la démocratie délibérative, qui permet de débattre et de mieux accepter les décisions », estime Mathilde Imer.

« A-t-on le temps pour discuter, alors que l’urgence climatique est réelle ? », s’interroge une festivalière, tandis qu’une vague de chaleur sévit sur l’hémisphère Nord de la planète et que les oiseaux, la faune et la flore sous-marine de l’Atlantique pourraient être fortement affectés. « Ce qui est ressorti de la convention citoyenne sur le climat, les spécialistes le disent depuis des années », souligne-t-elle.

« Course à l’audience »

Quelques heures plus tard, samedi, les journalistes étaient critiqués pour leur responsabilité dans la hausse de « l’info anxiété ». « Quelle place accordez-vous à l’information positive ? On ne la voit pas, et on se demande si vous n’êtes pas dans une course à l’audience », tance une autre festivalière, très applaudie.

« L’audience n’est pas un gros mot, car elle nous permet de gagner de l’argent et de financer notre journalisme », répond Fabien Namias, directeur général adjoint de la chaîne LCI. « On doit peut-être davantage trouver un peu de lumière dans les thèmes les plus sombres », convient-il, en dénonçant « le commerce de la peur » de certains médias, sans nommer pour autant la chaîne concurrente réactionnaire CNews, contrôlée par le milliardaire Vincent Bolloré.

L’homme d’affaires est vu par les journalistes du Journal du dimanche comme celui qui a choisi Geoffroy Lejeune, ancien directeur de l’hebdomadaire d’extrême droite Valeurs actuelles, pour prendre la tête de la rédaction de leur titre. Rejetant massivement ce choix, les salariés ont reconduit leur grève, samedi. Il a été beaucoup question de leur lutte pour l’indépendance durant ces trois journées.

Dimanche au soir, à l’heure de quitter Couthures-sur-Garonne, et de se donner rendez-vous en 2024, les regards s’attardaient sur des affiches de soutien à leur grève. Mardi 18 juillet, date fixée pour la prochaine assemblée générale, les salariés de l’hebdomadaire dominical comptabiliseront vingt-six jours de mouvement social pour défendre leur journal et la démocratie.

Source: Le Monde