Grand Frais : quand les caissières se lèvent

July 19, 2023
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Depuis un mois, le personnel, très majoritairement féminin, de Grand Frais à Saint-Priest-en-Jarez, dans la Loire, a déposé ses scanners et revêtu le gilet de la contestation. Leurs demandes ? De meilleures conditions de travail et des salaires dignes de leur labeur. Leur mouvement, porté notamment par la CGT, a trouvé un écho dans d'autres magasins Grand Frais, notamment à Firminy, Sainte-Foy-lès-Lyon et Décines.

Des revendications simples

Ces femmes, qui pour certaines ont consacré 25 ans de leur vie à l'entreprise en restant au SMIC, demandent une reconnaissance de leur travail. Elles réclament notamment une augmentation immédiate du taux horaire de 2 euros bruts, une prime d'intéressement, des bons d'achat, le retour de leur prime d'ancienneté, un remplacement systématique des contrats des salariées absentes, le droit à un rabais de 15% pour les courses effectuées au sein des entreprises pour lesquelles elles travaillent.

Une première victoire pour les salariées

Après un mois de grève, elles ont arraché une première victoire ces dernières semaines, saluée lundi par Sophie Binet, Première Secrétaire de la CGT : 5 euros de bons d'achat en plus par mois, un samedi de repos mensuel, le travail du dimanche sur la base du volontariat, et quelques euros en plus au bout de 5 ans dans l'entreprise (les primes d’anciennetés avaient été supprimées…).

Ces avancées ne sont que les premières étapes d'un combat qui est loin d'être terminé. Mais un combat qui bénéficié à toutes les salariées des supermarchés du groupe. Une caisse de solidarité a été mise en place pour soutenir les grévistes dont le mouvement est pour l’instant suspendu avant de reprendre probablement bientôt. Il n’est pas facile de faire grève quand on a un petit salaire ou qu’on est souvent à temps partiel.

Grand Frais : une réussite impressionnante à la lyonnaise

Grand Frais, enseigne de supermarchés spécialisée dans les produits frais et l'épicerie du monde, créée à Givors en 1992 et aujourd'hui dirigée par Bertrand Nomdedeu, est un fleuron de la région lyonnaise. En seulement trente ans, elle est devenue une réussite nationale, appréciée pour la qualité de ses produits. Aux prix certes parfois plus élevés que ceux de beaucoup de concurrents et parfois accusé, via son partenaire Despi, d’être peu clair sur l’origine des viandes vendues quand elles ne sont pas françaises.

Mais son expertise a été récemment sollicitée par le groupe Casino, en pleine réorganisation. Pourtant prospère, l'entreprise est accusée d'utiliser une organisation complexe en diverses sociétés pour rendre plus difficile l'implantation de syndicats et de représentants du personnel.

Avec une rentabilité deux fois supérieure à la moyenne de la grande distribution et un chiffre d'affaires de 2,4 milliards d'euros en 2019 et une augmentation du bilan de 6,33% entre 2021 et 2022, Prosol, la principale société au sein de Grand Frais, située à Chaponnay, a la capacité de répondre à nombre de revendications de ses salariés. Mais de son côté assez logiquement, quand on pense à la question classique de la théorie de la lutte pour la captation de la valeur ajoutée, Denis Dumont, fondateur et encore actionnaire à 47% de l’entreprise (il est minoritaire dans les sociétés du groupe d'intérêt de Grand Frais depuis qu’il a fait entrer le fond d’investissement Ardian), aujourd’hui résident Suisse et dont la fortune a augmenté de 75% entre 2020 et 2021 selon le magazine Challenges, n’entend pas céder à l’ensemble des revendications des salariés de l’entreprise qu’il a créé.

Une condamnation judiciaire qui fait tache

Il y a quelques mois le tribunal judiciaire de Lyon a donné raison aux salariés de trois Grand Frais rhodaniens qui dénoncaient le manque de représentation salariale causé par un tour de passe passe : les salariés d’un même Grand Frais travaillaient souvent, d’un rayon à l’autre, sous les bannières d’entreprises différentes, ramenant l’effectif sous le seuil des 11 travailleurs demandés par la loi pour obtenir une représentation du personnel. Grand Frais est en fait un groupement d'intérêts économiques n’employant en direct au niveau national que moins de 80 salariés. La justice a ordonné l’organisation d’élections professionnelles pour constituer un comité économique et social (CSE) dans les supermarchés de Pierre-Bénite, Rillieux-la-Pape et Bron. Cette décision, bien que ne concernant que trois magasins, met en lumière les pratiques de Grand Frais et pourrait avoir des répercussions sur l'ensemble de l'entreprise.

Les frères Bahadourian : des fortunes discrètes derrière le succès de Grand Frais

Derrière le succès de l’entreprise, outre Denis Dumont, se cachent les frères Léo et Patrick Bahadourian, petits-fils d'un brillant épicier arménien de Lyon. Bien que ceux-ci vivent désormais en Suisse, tout comme le fondateur de la marque Grand Frais, les Lyonnais connaissent bien les épiceries qui portent leur nom. Leur fortune, estimée entre 0,9 et 1,4 milliard d'euros, est logée dans plusieurs sociétés du Luxembourg. Ils ont récemment vendu 60% d'Euro Ethnic Foods (EEF), la société via laquelle ils gèrent les rayons épicerie de Grand Frais, à un fonds de capital-investissement, touchant ainsi le jackpot. Ils conservent 40% de l'activité et une grande partie des murs de la chaîne. Leur holding au Luxembourg, Norkorz Capital, affichait un milliard d'euros d'actifs en 2019.

La lutte des salariées de Grand Frais est un rappel puissant que la prospérité d'une entreprise, même affichant des produits de qualité, même ayant réussi l’un des spots de pubs les plus marquants de ces dernières années (avec l’agence Rosa Paris au point d’être largement copié) , ne doit pas se faire au détriment des droits et du bien-être de ses employés. Leur combat est hautement symbolique et mérite notre soutien et notre attention.

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Romain Blachier

Source: Lyon Mag