Subventionnement du rapiéçage de vêtements: l’apothéose de l’État nounou
FIGAROVOX/TRIBUNE - Dès octobre, les Français pourront bénéficier d’un «bonus réparation», leur donnant droit à des aides pour le rapiéçage des vêtements et des chaussures. Pour Erwan Le Noan, cette mesure est un nouveau témoignage de l’emprise croissante du collectif sur l'individuel.
Erwan Le Noan est consultant en stratégie, membre du conseil scientifique de la Fondation pour l'innovation politique (think-tank libéral) et maître de conférences à Sciences Po. Il a notamment publié La France des opportunités (Les Belles Lettres, 2017).
Petit Gibus, le garçonnet de La Guerre des boutons , serait probablement rassuré de savoir que, dans sa grande bienveillance, l'État vient d'annoncer la mise en place d'un dispositif qui lui permettrait certainement d'apaiser sa mère à l'issue des batailles perdues: désormais, le rapiéçage des vêtements sera remboursé par la collectivité!
La puissance publique vient ainsi d'annoncer que l'éco-contribution que les producteurs de vêtements sont contraints de verser à Refashion, «éco-organisme» de la filière agréé par l'État, servirait à partir d'octobre prochain à rembourser les menus travaux de réparation d'habillement, dès lors que ceux-ci sont réalisés auprès d'un opérateur, cordonnier ou couturier, labellisé et dans le respect d'un barème déterminé. Ainsi, chaque consommateur aura droit à un remboursement de sept euros pour réparer un embout de talons, de dix-huit euros pour un ressemelage si la semelle est en gomme mais de vingt-cinq euros si elle est en cuir, etc.
L'intention est évidemment légitime: assurer une durée de vie aussi longue que possible aux vêtements est parfaitement compréhensible et nombre d'entre nous avons eu, dans l'enfance, la joie de porter des jeans rapiécés de super-héros et autres t-shirts transmis au sein de la famille moyennant un petit point de remise en état. Nul n'était besoin de prélever des ressources publiques sur les consommateurs, d'en organiser la redistribution par un organisme semi-administratif centralisé, selon des barèmes prédéterminés et une nomenclature technique!
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Cette annonce inspire trois réflexions. D'abord, elle est un nouveau témoignage de cette emprise constante du collectif sur l'individuel dans notre société. Le champ de ce qui est géré de façon commune ne cesse de s'étendre, non par la force et l'autoritarisme, mais par l'incitation subventionnée. C'est le «despotisme doux» qu'avait si bien anticipé Alexis de Tocqueville au XIXe siècle, quand il voyait, qu'au-dessus des citoyens «s'élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d'assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l'âge viril; mais il ne cherche, au contraire, qu'à les fixer irrévocablement dans l'enfance».
Est-ce réellement le rôle de l'État de se mêler des dispositifs de ce genre alors que les fonctions régaliennes les plus fondamentales semblent assurées de façon incertaine? L'adage populaire dit que « qui trop embrasse, mal étreint »; il en va de même en matière d'action publique. Erwan Le Noan
En filigrane se dessine aussi l'idée selon laquelle, dès lors que l'objectif semble louable, il serait légitime que sa réalisation soit prise en charge par la collectivité, à la fois par la réglementation et le financement collectif. Dans une dynamique d'expansion continue, la puissance publique en vient ainsi, au nom du bien commun, à s'immiscer dans tous les méandres de l'existence, tous les choix individuels, jusqu'aux plus miséreux. Elle s'est ainsi muée en un «État nounou», version invasive, pour reprendre l'expression parfaite de Mathieu Laine.
Ensuite, elle soulève nécessairement une interrogation sur l'efficacité de l'action publique. Est-ce réellement le rôle de l'État de se mêler des dispositifs de ce genre, de disperser son énergie et son attention alors que les fonctions régaliennes les plus fondamentales semblent assurées de façon incertaine et que tant de services publics engloutissent des financements records pour des résultats et des modes de fonctionnement qui ne satisfont ni les usagers ni les agents? L'adage populaire dit que «qui trop embrasse, mal étreint»; il en va de même en matière d'action publique.
Enfin, l'annonce de ce dispositif peut conduire à s'interroger sur la vivacité économique de la France. Notre société est-elle si mal en point, notre richesse si déclinante qu'il est devenu indispensable d'inventer des dispositifs de financements collectifs pour solvabiliser la demander pour rapiécer des pièces de vêtements? Si tel est le cas, quelle en est la source? La subvention est-elle la meilleure réponse à apporter?
Que les entreprises du secteur de l'habillement intègrent les coûts carbone dans leurs processus de production, au moyen d'une taxe, est une bonne chose: réintégrer dans les prix des charges autrement invisibles et globalement nuisibles est l'une des vertus que les économistes reconnaissent unanimement à l'impôt. Il existe toutefois certainement de meilleurs usages, plus innovants, plus portés vers l'avenir, la croissance et la compétitivité vertes que l'invention de ces dispositifs...
Source: Le Figaro