Le livre pour ados "Bien trop petit" censuré à cause de "scènes de sexes très explicites"
"Bien trop petit" raconte à la première personne l’histoire de Grégoire, un adolescent complexé. A la piscine, un copain s’est moqué de la taille de son sexe. Il n’a plus envie d’aller au lycée et se réfugie dans l’écriture. Ses textes, postés sur un forum, attirent l’attention d’une certaine Kika, qui lui demande d’aller plus loin dans l’érotisme. Elle sera sa première lectrice et aussi sa première critique.
En début de semaine, c'est au sujet de ce livre que Gérald Darmanin a signé un arrêté , pour interdire l'ouvrage, signé Manu Causse, aux mineurs, a révélé le magazine spécialisé ActuaLitté . L’arrêté d’interdiction pointe plusieurs passages pour leur "description complaisante de nombreuses scènes de sexe très explicites" (les pages 61 et 62, 85 et 86, 90 à 94, 105 à 108, et 158 à 160) au titre de la loi du 16 juillet 1949, qui dispose que les publications pour la jeunesse ne doivent pas comporter de contenu pornographique.
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L'auteur "sous le choc"
L’auteur se dit abasourdi. "Je suis sous le choc. Le mois dernier, un album de BD dont j’ai écrit le scénario, Ursa (éditions Sarbacane), a reçu un prix suisse important [le prix Delémont’BD, NDLR]. C’est un album qui parle de violences faites aux femmes, de grossesses non désirées. Ce travail a été salué pour la qualité de son écriture. Que le mois d’après, je sois taxé de pornographie par le ministère de Gérald Darmanin, c’est une grosse surprise", lance Manu Causse.
L’affaire a commencé en avril dernier. A la suite d’un signalement, l’éditeur Thierry Magnier reçoit une lettre de la commission de surveillance et de contrôle des publications destinées à l’enfance et à la jeunesse. Il présente ses arguments par écrit. Puis, plus rien, jusqu’à l’arrêté d’interdiction paru au Journal officiel du 18 juillet 2023, signalé par un journaliste.
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Interrogé par France Inter, Thierry Magnier ne nie pas le caractère explicite des passages mis en cause. Cependant, il estime que cela n’a aucun sens de se focaliser sur eux et sur eux seuls. Ils font partie d’un tout et ce tout est une œuvre littéraire.
"C'est tout simplement de la bêtise", regrette l'éditeur
Dans "Bien trop petit", Grégoire entretient un dialogue épistolaire avec sa lectrice. Elle lui adresse des critiques quand elle juge que les scènes de sexe ne sont pas acceptables. Il reprend son texte, le corrige. Un travail pédagogique sur la sexualité s’accomplit tout au long du roman, qui aborde également les thèmes du harcèlement scolaire, des normes imposées aux corps, des rapports avec les parents à l’adolescence.
Thierry Magnier, réputé pour sa politique éditoriale novatrice en matière de livres jeunesse, est également le créateur du prix Vendredi, qui ambitionne de devenir le Goncourt de la littérature jeunesse. Il y a quatre ans, il a lancé la collection "Ardeur". Destinée aux 15 ans et plus, cette collection explore les questions liées au corps et à la sexualité. En 2021, un livre de cette collection, Queen Quong, d’Hélène Vignal, a reçu la Pépite d’Or du Salon du livre de jeunesse de Montreuil.
Aujourd’hui, voilà qu’un de ses ouvrages et visé par une interdiction. L'éditeur est partagé entre stupeur et colère : "Je crois que c’est tout simplement de la bêtise. Ces gens ne connaissent rien à la littérature, et encore moins à la littérature jeunesse. Ils considèrent que la littérature jeunesse, ce ne sont que des bisounours et que jusqu’à 18 ans, on doit être dans des petits nuages, et puis qu’à 18 ans, paf ! On s’en prend plein la gueule et on ne sait pas où on est. Et bien non, non ! Un adolescent, un enfant, ce sont des êtres humains, des êtres humains qui réfléchissent et qui ont besoin d’être aidés, et je pense que ça, ça peut être une aide !"
Les exemplaires retirés des rayons
L’écrivain Nicolas Mathieu ne dit pas autre chose. Le prix Goncourt 2018 a dénoncé sur Instagram une atteinte à la liberté de création. "On imagine", écrit-il, "que ce geste s’est opéré sous l’influence de quelque organe de pression réactionnaire, type familles à serre-tête et autres associations en bermuda. […] A 15 ans, on aime et on désire comme des dingues. La littérature a quelque chose à dire de ces états. Le fait de permettre l’émergence de textes qui irriguent cette libido et l’accompagnent ne peut en aucun cas être confondu avec un abus. La protection des mineurs, évidemment nécessaire, ne peut sombrer dans cette sorte de puritanisme imbécile et opportuniste."
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Sollicité par France Inter, le ministère de l'Intérieur affirme s’être appuyé sur l’avis consultatif de la Commission de surveillance. Dans sa réponse adressée par mail, il précise que “La supposée 'portée pédagogique' de l’ouvrage qu’a fait valoir l’éditeur dans ses observations écrites transmises le 26 avril (le roman se voudrait une 'trajectoire vers un apaisement et une meilleure de connaissance de soi, vers une éducation à la sexualité'), n’est pas apparue fondée, compte tenu du nombre et du caractère particulièrement gratuit, cru et détaillé des scènes de sexe explicites.”
Dans l’immédiat, il n’y a pas d’autre choix que de se conformer à l’arrêté d’interdiction et de rappeler les livres, explique Thierry Magnier. L’éditeur s’étonne néanmoins qu’à l’heure où des contenus pornographiques violents sont quasiment en livre accès sur internet, on s’en prenne à un livre diffusé à quelques centaines d’exemplaires et dont le personnage principal est un adolescent qui doute de lui-même.
Source: France Inter