Vinci va tester les autoroutes électriques où l'on recharge en roulant
Imaginez passer de Lille à Nice en voiture électrique, sans jamais s’arrêter à une borne de recharge et même arriver à destination avec une batterie loin d’être à plat… Les modèles actuels sont très loin d’offrir de telles autonomies et n’y arriveront sans doute jamais. En revanche, avec le coup de pouce des Electric Road System (ERS), on y sera peut-être un jour.
L’idée est de concevoir des routes et autoroutes électriques sur lesquelles on peut rouler tout en maintenant le niveau de sa batterie, voire en la rechargeant. Dans le cadre d’un appel à projet lancé par BPI, la banque publique d’investissement, et avec plusieurs partenaires, Vinci Autoroute lancera en septembre un projet pour creuser cette piste.
Des tests en conditions réelles sur l'A10 vers fin 2024
Celui-ci s’étalera sur trois ans et commencera par des tests en circuit fermé, près de Rouen (Seine-Maritime), avant une expérimentation en conditions réelles, plutôt vers fin 2024, sur deux tronçons de deux kilomètres chacun de l’autoroute A10. En amont du péage de Saint-Arnoult (Yvelines) dans le sens Paris-Province, annonce Vinci dans un communiqué.
Deux tronçons comme autant de solutions de recharge dynamique que veut tester ce projet. A vrai dire, Nicolas Hautière, responsable des activités ERS à l’université Gustave-Eiffel (Seine-et-Marne) dont plusieurs laboratoires participent au projet., cite une troisième grande famille d’ERS encore. « C’est la recharge par pantographe, déjà utilisée par exemple sur les tramways ou les trolleybus et qui permet aux véhicules de capter le courant par frottement sur une caténaire juste au-dessus, rappelle-t-il. Cette solution a déjà largement été testée pour les poids lourds, particulièrement en Allemagne. On n’apporterait pas grand-chose de plus. »
Comme les circuits voitures de notre enfance
Le choix s’est donc porté sur les deux autres familles de solutions : par induction et par rail conductif. Les deux ont déjà été testées dans d’autres pays, mais jamais sur autoroute, assure Vinci. Pour l’induction, « le fonctionnement est le même que pour une casserole que vous placerez sur une plaque de cuisson inductive, décrit Nicolas Hautière. Un récepteur est placé dans la route et un émetteur sous le véhicule. Quand les deux bobines inductives sont face l’un à l’autre, la transmission de l’énergie électrique se déclenche. » Pour le rail conductif, le chercheur nous renvoie aux circuits automobiles électriques de notre enfance. « Il faudra équiper le dessous des voitures d’un patin qui frottera le long d’un rail sur la route et cette friction permet la recharge », reprend-il.
Ces deux solutions ont leurs avantages et leurs inconvénients. « Celle par rail inductif au sol offre notamment une puissance et un rendement important », indique Nicolas Hautière. Mais l’inconvénient est ce frottement, « qui nécessite de trouver ce bon équilibre entre recherche de puissance dans le chargement et la nécessité d’éviter l’usure trop rapide des équipements », poursuit-il. Louis de Pasquier, en charge de ce projet ERS à Vinci Autoroute, ajoute aussi la nécessité de s’assurer que ce rail plat sur la route ne présente aucun risque de perte d’adhérence pour les usagers de la route. « C’est l’un des enjeux de ce projet et notamment des tests en circuit fermé », pointe-t-il. L’absence de contact et de modification sur la route sont les grands points forts alors de l’autre méthode, par induction. « En revanche, la puissance et les rendements sont a priori moindres, jusqu’à nécessiter, peut-être, à devoir installer plusieurs émetteurs sous les véhicules », reprend Nicolas Hautière. A creuser là encore.
Une aubaine pour les poids lourds ?
Les avancées du projet seront scrutées de près par les acteurs du transport routier. C’est pour ce secteur, qui lui aussi doit se décarboner au plus vite, que les promesses des routes électriques sont les plus grandes. Longtemps, la technologie « électrique batterie » a semblé hors de portée aux poids lourds, tant elle impliquait, pour avoir une autonomie suffisante, d’embarquer sous le capot des batteries volumineuses. Et donc, moins d’espace pour transporter des marchandises. Mais en parallèle, l’hydrogène vert, l’autre façon de faire de la mobilité électrique et qu’on dédiait plus justement aux camions, a aussi ses limites, rappelle Clément Molizon, délégué général de l’Association nationale pour le développement de la mobilité électrique (Avere). Non seulement, on a des doutes sur notre capacité à en produire en grande quantité, mais d’autres secteurs, de l’aviation à la chimie, misent aussi dessus pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. »
Bref, la concurrence est rude sur l’hydrogène. Depuis deux ans, Clément Molizon voit alors les constructeurs prendre le virage de l’électrique batterie, « y compris pour des camions long-courriers ». « Et cette possibilité-là d’avoir un jour des routes électriques devrait accentuer encore cette tendance », poursuit-il. En permettant aux poids lourds de se charger en continu, la promesse est qu’ils puissent se contenter de batteries de taille bien plus modeste. « On pourrait potentiellement diviser leur taille prévue par trois », indique Louis de Pasquier, en se référant aux calculs d’une étude coordonnée par Patrick Pelata, ancien directeur général de Renault, pour le compte du ministère des Transports et publiée en juillet 2021.
9.000 km de route équipés en 2035 ?
L’enjeu n’est d’ailleurs pas seulement de décarboner le transport de marchandise. « Il est aussi de réduire les besoins en cobalt, lithium, cuivre et autres métaux stratégiques nécessaires à la fabrication ces batteries », ajoute Louis de Pasquier. On parle en millions de tonnes. C’est très intéressant d’un point de vue environnemental, économique, mais aussi de souveraineté nationale. »
Reste à confirmer les promesses sur le terrain, à choisir la bonne technologie - « il est peu envisageable que les trois puissent cohabiter », glisse Nicolas Hautière-, puis à déployer ces autoroutes électriques à la bonne échelle. L’étude de Patrick Pelata imagine près de 5.000 km de réseau routier – principalement des autoroutes – équipés en 2030 et près de 9.000 en 2035. Le coût serait loin d’être négligeable. « Quelle que soit la technologie, on serait entre 40 et à 50 milliards d’euros si on va jusqu’à équiper 9.000 km de routes, annonce Louis de Pasquier. Mais ce chiffre est à comparer aux économies réalisées sur les matières premières et sur les bornes de recharges dont on pourrait alors réduire le nombre. »
C’est justement l’une des craintes que soulève Clément Molizon. « Le transport routier doit réduire sans attendre ses émissions de gaz à effet de serre et la réglementation européenne prévoit, à ce titre, l’obligation d’équiper, d’ici 2025, les aires des autoroutes des bornes de recharge pour camion, rappelle-t-il. On a besoin alors d’y voir clair rapidement sur les potentialités des ERS, ne serait-ce que pour éviter d’installer des bornes qui se révéleraient pour certaines inutiles. »
Source: 20 Minutes