Le syndic d'une zone commerciale à Antibes dit "non" à l'installation d'un data center dans sa galerie, la justice le condamne
Ils pensaient être les victimes et se sont retrouvés… condamnés. "J’en ai passé, des nuits blanches…" entame Martine Francio, propriétaire d’une boutique au sein d’Espace Antibes, une copropriété qui regroupe environ soixante-dix commerçants sur la route de Grasse, en face de l’hypermarché Carrefour.
À son côté, Georges Siboni, président de l’association des commerçants tient dans la main un document. En grosses lettres: "Tribunal judiciaire de Grasse, jugement du 2 septembre 2022".
Dans ces seize pages, la justice autorise un data center à exécuter des travaux que les copropriétaires du centre avaient refusés lors d’un vote en assemblée exceptionnelle. "On est doublement punis puisque la juge nous a demandé d’indemniser le gérant du data center à hauteur de 174.000 euros pour le préjudice", hallucine Georges Siboni.
Augmenter la puissance électrique
Tout commence en octobre 2020, lorsque Thomas Cignoni – déjà présent dans la zone avec un restaurant depuis 2011 – devient locataire d’un bien, au deuxième étage de la copropriété. Son projet? Ouvrir un data center. Problème: il n’y a pas assez de puissance électrique pour faire tourner les machines. Il faut 250kW. Ce qui nécessite des travaux pour réaliser une tranchée de 138 mètres pour raccorder le local à l’alimentation. Thomas Cignoni raconte: "Quand j’ai fait la demande à Enedis, M. Siboni est venu me voir en me disant qu’il ne signera jamais la convention pour autoriser les travaux. Il craignait que cela nuise à son activité commerciale."
Le président des commerçants assume: "300 ordinateurs qui tournent 24/24h, avec toutes les ondes que ça va dégager, le risque incendie, et en plus des travaux qui vont paralyser l’accès des clients à nos boutiques? Ce n’est pas possible."
"On ne fait pas une centrale nucléaire"
Trois cents ordinateurs? Thomas Cignoni ne souhaite pas donner le détail de son data center mais se veut rassurant: "On ne fait pas une centrale nucléaire. 250kW, c’est l’équivalent de huit appartements. Pour ce qui est des ondes, tout est contrôlé, on parle d’Enedis qui est un professionnel et il s’agit de travaux tout à fait courants qui ne dureront que trois semaines." L’entrepreneur propose alors d’autres solutions. Commencer le chantier pendant les vacances? Faire passer le câble par les garages? "Mais c’était toujours non, non et non. Comment est-ce possible d’empêcher des gens de travailler comme ça sans aucune raison valable? Dans le règlement de la copro, rien n’interdit l’activité de stockages de données informatiques."
Le désaccord les pousse à organiser une assemblée exceptionnelle avec le syndic le 11 mai 2021 à distance (Covid oblige). Sur 43 votants, 27 refusent les travaux.
Légèrement à bout, Thomas Cignoni les poursuit en justice et décide, entre-temps, de continuer sur sa lancée.
Six trous sur le toit sans autorisation
Sans rien demander à personne, il perce six trous sur le toit, qui fait partie des parties communes, pour installer des ventilateurs, nécessaires pour réguler la chaleur dégagée par les ordinateurs.
"Mais c’est révoltant! réagit Martine Francio. Ce sont de grands trous. Quel que soit le motif, ce n’est pas légitime, il n’avait pas le droit." Georges Siboni embraye: "Il a fragilisé le bâtiment et, en plus, ça fait le bruit d’un hélicoptère!"
Thomas Cignoni se défend: "Je le reconnais, je n’aurais pas dû. C’est une erreur, mais j’étais obligé! Après le refus pour le câble électrique, pensez-vous qu’ils m’auraient laissé faire? Ils tournent depuis six mois et personne ne s’est plaint du bruit."
Un refus "abusif" du syndic
En septembre 2022, deux ans après le début du litige, le data center n’a toujours ouvert. La décision de justice tombe… et donne raison à Thomas Cignoni. En effet, la juge considère que le syndic a exercé un "abus de majorité, considérant que hormis une gêne temporaire d’accès durant les 15 jours de travaux, le projet n’est pas de nature à engendrer une gêne ou des nuisances pour les autres copropriétaires." Elle autorise ainsi les travaux, qui ont débuté le 5 juillet dernier, pour trois semaines. Le syndic est condamné à indemniser Thomas Cignoni à hauteur de 174.459 euros à titre de dommages et intérêts.
Et la pilule a du mal à passer pour tous les copropriétaires qui ont fait appel.
Quid des trous sur le toit? Selon une première expertise, la pose des ventilateurs sur le toit n’a pas fragilisé le bâtiment mais le syndic a fait appel. Tout se joue, désormais, sur cette installation illégale. Maître Arnos Patrick, qui défend les copropriétaires, affirme qu’une nouvelle expertise est en cours. Mais il assure: "Quoi qu’il en soit, nous demandons que le toit soit remis en l’état car l’installation est, de base, illégale. Le data center ne pourra pas tourner sans ces ventilateurs."
Source: Nice matin