La Russie durcit encore les lois contre les minorités sexuelles

July 21, 2023
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Les discriminations contre les membres de la communauté LGBT, accusés d’être influencés par l’Occident, s’amplifient depuis le début de la guerre en Ukraine.

La semaine dernière, les députés de la Douma ont adopté une nouvelle loi rétrograde qui retire tous leurs droits aux personnes transgenres et transsexuelles… Des populations déjà, de fait, largement discriminées dans ce pays conservateur où la constitution garantit la préservation des «valeurs familiales traditionnelles». Selon ce texte, qui devrait être ratifié sous peu par Vladimir Poutine, les personnes trans n’auront plus le droit d’accéder aux procédés médicaux de changement de genre, ni d’adopter un enfant. Les mariages concernant au moins une personne trans seront annulés, et tous les Russes devront faire figurer sur leurs documents d’identité le genre qui leur a été assigné à la naissance, sauf en cas de maladie génétique justifiant que le genre ait dû être redéterminé. Depuis la chute de l’Union soviétique, les personnes souhaitant modifier les expressions physiques de leur genre pouvaient recourir à des opérations chirurgicales et à des traitements hormonaux.

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La veille, les services de sécurité venaient d’arrêter un militant transgenre pour «haute trahison», l’accusant d’avoir fourni une aide financière aux forces armées ukrainiennes. Le jeune homme risque la prison à vie. Depuis l’invasion russe de l’Ukraine lancée en février 2022, Moscou multiplie les mesures répressives contre son propre peuple, et notamment contre les minorités sexuelles, accusées de “perversion” et d’être influencées par l’Occident.

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«La dysphorie de genre (détresse liée à l'inadéquation entre l'identité de genre d’une personne et le sexe qui leur a été assigné à la naissance, Ndr) est un état mental reconnu. Même en URSS dans les années 80, il existait des traitements pour soulager, grâce au changement de genre, les personnes qui en souffraient », dit Eva-Lilith Tsvetkova, une endocrinologue qui prend en charge des personnes transgenres. «Alors que le texte n’a même pas encore été signé par le président, on note déjà une augmentation des anxieux dépressifs chez nos patients, et des comportements suicidaires, » s’alarme-t-elle, assurant avoir eu connaissance de plusieurs cas de suicides depuis une semaine.

« Depuis que cette nouvelle loi a été adoptée par la Douma, nous recevons une vague de messages suicidaires de la part de personnes transgenres. Notre rythme de travail est celui d’une situation d’urgence, » abonde Ian Dvorkine, psychologue et directeur de Centre T, l’un des plus grandes organisations russes qui viennent en aide aux personnes transgenres. Malgré les efforts des membres de Centre T, au moins deux personnes transgenres se sont suicidées récemment. «Elles avaient des problèmes personnels et étaient dans un état psychologique grave. La loi l’a aggravé», juge-t-il.

Selon le Centre T, la seule solution pour les personnes transgenres souhaitant changer de sexe sera de recourir à des professionnels de santé à l’étranger. Depuis 20 jours, l’ONG a reçu plus de 160 messages de personnes souhaitant des informations relatives à un déménagement dans un pays de la région doté de praticiens disposés à les aider. «Nous n'avons pas le budget nécessaire pour aider financièrement ces personnes à voyager à l’étranger, mais nous coopérons avec des organisations étrangères et essayons de les mettre en relation avec des personnes trans à la recherche d’un chirurgien ou psychologue. Habituellement, ces organisations étrangères se concentrent sur l'aide aux activistes, mais à présent, la situation en Russie est telle qu’il va falloir porter assistance même à des gens ordinaires, qui ne sont pas militants, » dit Ian Dvorkine.

Guerre contre «l’industrie transgenre occidentale»

Pour les députés russes, la dysmorphie de genre n’est qu’un prétexte idéologique. « L'industrie occidentale des transgenres essaie de s'infiltrer dans notre pays, y implanter son entreprise de plusieurs milliards de dollars, » a tempêté Piotr Tolstoï, vice-président de la chambre basse de l'Assemblée fédérale. « La guerre n'est pas seulement sur le front (ukrainien, Ndr), la guerre se déroule dans les têtes et les âmes, et nous voulons protéger notre pays afin qu’il ne soit pas détruit de l'intérieur,» a-t-il ajouté.

Six mois après que Moscou ait interdit toute information «non-négative» à propos LGBT, les législateurs ont aussi interdit à l’hiver 2022 de diffuser des informations sur la transidentité, face à «la popularité croissante» selon eux des transidentités, surtout chez les jeunes. Selon le ministère de l'Intérieur, seulement 2407 individus ont modifié leur genre dans les registres d'état civil depuis 2019, et seulement un millier en 2022.

Le combat des préservateurs des «valeurs familiales traditionnelles» ne se fait pas seulement à la Douma. Ces derniers jours, les tribunaux russes pénalisent sans arrêt les chaînes TV, plateformes de films en ligne et librairies accusées de diffuser de la «propagande LGBT». Les individus et organismes affichant leur soutien pour les personnes non-hétéronormatives sont souvent accusés d’être des «agents étrangers».

Selon le politologue russe Dmitrii Tolkatchev, le gouvernement vise particulièrement les minorités dans le contexte de la guerre en Ukraine, depuis février 2022. «En Ukraine, par exemple, le gouvernement discute de la légalisation du partenariat civil en Ukraine. Or, Moscou s’empare de ce type de sujet pour qu’ils soient synonymes d’idées occidentales et ukrainiennes, opposées au monde russe», explique-t-il. « Ce nouveau texte, adopté par la Douma, est un geste envers les alliés conservateurs de Poutine; Et, en plus, il donne l’occasion de blâmer l’ennemi ukrainien pour ce que les Russes conservateurs perçoivent comme des malheurs, de mauvais développements dans leur pays, » ajoute l’expert.

« Les autorités n’ont pas de plan précis en ce qui concerne la communauté LGBT. Ce n’est pas son existence en soi qui est problématique, mais le gouvernement se saisit du sujet pour justifier sa guerre contre l’Occident,» explique Igor Kotchetkov, l’un des fondateurs du Réseau LGBT, une ONG russe. D’autres sujets qui prêtent à controverse pourraient également servir de base pour accuser les pays européens et d’Amérique du Nord de pervertir le peuple russe. Le ministre de la Santé russe Mikhaïl Mourachko vient d’annoncer le durcissement des conditions de vente des pilules permettant d’effectuer une IVG, qui seront traitées comme les médicaments comportant des substances narcotiques.

Source: Le Figaro