Gérald Darmanin interdit la vente aux mineurs d’un livre pour ados : tollé dans le milieu littéraire

July 22, 2023
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« La violence d’une telle décision nous a laissés sans voix », écrit la maison d’édition Thierry Magnier. « Quand la cancel culture vient d’en haut », titre une tribune du quotidien Libération. Un acte « liberticide » qui « bafoue le droit à la création », juge le prix Goncourt 2018 Nicolas Mathieu.

Depuis plusieurs jours, les réactions ulcérées se succèdent à la suite d’un arrêté pris par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, le 17 juillet 2023, pour interdire la vente aux mineurs d’un ouvrage précisément publié dans une collection destinée aux ados.

L’ouvrage visé : Bien trop petit, de l’écrivain Manu Causse, auteur de nombreux livres pour la jeunesse et le public adolescent. Paru en septembre 2022 dans la collection L’ardeur, aux éditions Thierry Magnier, le roman met en scène Grégoire, un adolescent complexé par la taille de son sexe qui se réfugie dans l’écriture. « Il se reconstruit un imaginaire sexuel en écrivant des récits de chevalier, ce qui donne lieu à des passages de pornographie un peu bas du front », explique Manu Causse à nos confrères de Franceinfo. Des passages « à caractère pornographique » qui justifient l’interdiction aux mineurs selon l’Intérieur.

Une loi de 1949

C’est la commission de surveillance et de contrôle des publications pour la jeunesse qui a signalé le roman au ministère de l’Intérieur le 30 janvier 2023. Selon la loi du 16 juillet 1949, qui concerne les publications jeunesse, celles-ci « ne doivent comporter aucun contenu à caractère pornographique ». C’est cette instance qui a signalé « la description complaisante de nombreuses scènes de sexe très explicites ».

Selon elle, l’œuvre présente « un danger pour les mineurs qui pourraient l’acquérir ou le consulter ». Manu Causse a exprimé sa stupeur et sa peur d’un « retour à l’ordre moral » à nos confrères du Parisien. « Je pense qu’il a bien mieux à faire, s’il veut aider la jeunesse, que d’interdire un bouquin d’une collection dont c’est le but d’offrir une voie progressiste vers l’apprentissage de la sexualité adulte », a-t-il poursuivi.

Une collection qui parle de sexualité aux ados et jeunes adultes

L’ardeur, la collection en question, a pour but de permettre aux adolescents de « lire, oser, fantasmer », selon la maison d’édition Thierry Magnier. « À l’heure où la consommation d’images pornographiques violentes et sexistes explose chez les plus jeunes, à l’heure où l’éducation à la sexualité peine à exister, il nous semblait au contraire essentiel d’oser proposer à nos lecteurs et lectrices, grands ados et jeunes adultes, des œuvres littéraires traitant avec soin et conviction de ces sujets cruciaux », écrit la maison d’édition dans un communiqué où elle regrette la décision du ministère de l’Intérieur mais dit respecter l’arrêté.

Le livre a donc été retiré de la vente. « On a demandé à tous les libraires de nous renvoyer leurs exemplaires. On respecte la loi, je ne veux pas qu’on nous accuse davantage », explique Thierry Magnier à Franceinfo, qui rappelle que la loi de 1949 prévoit des peines de prison d’un an et une amende de 3 750 €. Une remise en vente à destination des majeurs, avec un bandeau, est envisagée par l’éditeur.

Une décision « préoccupante »

Toujours est-il que l’affaire fait grand bruit. « C’est une décision au plus haut point préoccupante, a déclaré au site Actualitté la directrice des départements jeunesse et BD d’Albin Michel. La littérature doit-elle feindre d’ignorer que la jeunesse s’éveille à la sexualité avant 18 ans ? » Sur ses réseaux sociaux, Thierry Magnier a fait part « du véritable choc » que la décision a constitué pour son équipe. « Cette décision foule au pied à la fois le propos d’un auteur de talent, et l’ambition d’une collection que nous pensons essentielle. » Elle évoque aussi les « centaines » de messages de soutien reçus. « Professionnel.les du livre et de l’éducation, auteurs.rices, bibliothécaires, libraires, lecteurs.rices... vos mots, votre indignation et votre soutien nous portent. »

« Finalement ça met un coup de projecteur sur une collection plutôt chouette et qui était jusqu’à présent peu connue », fait remarquer une libraire de son côté. Depuis sa parution en septembre 2022, ce dixième ouvrage de la collection L’Ardeur, s’était vendu à 500 exemplaires selon l’éditeur à Franceinfo.

Un hashtag en soutien

En soutien, l’auteur Nicolas Mathieu a lancé sur Instagram le hashtag #wheniwas15 (quand j’avais 15 ans) pour inviter les lecteurs à raconter les émois de leur adolescence.

« Ce que nous étions alors, fouinant dans l’enfer des bibliothèques familiales, à fleur de peau, toujours vener, des monstres d’envie, des gouffres déambulant, amoureux fous ou frustrés à en crever. Que ça se dise. Que le déluge d’hormones ensevelisse la tartufferie », écrit l’auteur. Une publication qui avait récolté, ce samedi après-midi, plus de 3 000 likes, et un hashtag utilisé, lui aussi, plus de 3 000 fois.

Source: Ouest-France