Comment les " beach artists " transforment la plage en véritable œuvre d’art
« On peut se rappeler demain matin ? C’est parce que c’est marée basse, là… Il faut que j’y aille ! » Quand on cherche à contacter un beach artist, mieux vaut se renseigner avant sur la météo et l’état de la mer pour ne pas le déranger. Car si la plage commence tout juste à se découvrir, afin de se transformer en vaste étendue de sable humide, il est fort à parier qu’il préférera saisir cette occasion pour sortir son râteau plutôt que son téléphone. « Quand je me lance, je me mets dans ma bulle et je ne m’arrête pas, s’excuse le lendemain Inga, artiste de plage depuis quatre ans, basée dans la région de Saint-Malo. Je ratisse pendant quatre ou cinq heures non-stop. C’est quand la photo est prise et que la mer remonte que je peux enfin respirer ! »
Depuis quelques années, le beach art fait sensation sur les grandes plages françaises, notamment de la côte atlantique. Il faut dire que cette pratique encore méconnue, qui consiste à réaliser des œuvres monumentales sur le sable à l’aide d’un râteau de jardinier puis à les prendre en photo (du haut d’une falaise ou à l’aide d’un drone), a quelque chose de fascinant.
Un tigre réalisé par Inga - Inga dronartiste
« Chez le public, il y a toujours un effet wahou, confirme Jben, qui œuvre depuis une dizaine d’années principalement sur les plages de Charente-Maritime. On réalise des fresques de 30 à 70 m de long, et en même temps c’est un art facile d’approche car l’outil est rudimentaire. Il ne suffit de pas grand-chose finalement : une petite griffe et une grande griffe pour un tracé plus ou moins fin, et un ramasse feuilles pour les marques plus légères, comme les ombres. »
« Y aller en confiance »
Voilà pour l’équipement. Mais ensuite, quels sont leurs secrets pour réaliser ces magnifiques mandalas, motifs géométriques ou gigantesques portraits ? Si les artistes interrogés, qui vivent de leur activité, se sont formés « sur le tas » (de sable), une petite fibre artistique, une facilité à se repérer dans l’espace, et la maîtrise du théorème de Pythagore ne seraient pas de trop, à les écouter. Ensuite, à chacun ses techniques.
Une oeuvre de Sam Dougados - Sam Dougados
Préparation en amont sur papier, quadrillage, cordeaux, improvisation… Sam Dougados, l’un des premiers à se lancer il y a maintenant quinze ans, n’utilise par exemple que très peu d’aides extérieures. « Je ne cherche pas la perfection et j’aime être assez libre, seul avec mon râteau : pour faire un rond, je compte mes pas depuis le centre, et ce plusieurs fois, raconte cet artiste-plasticien qui aime "figer ce quelque chose d’éphémère" avec ses photos. Et pour tracer un trait droit, il faut toujours marcher à reculons, en fixant un point ! Sinon, il y a un risque de dévier de sa trajectoire. »
La concentration semble de rigueur, surtout quand il s’agit de répondre aux nombreuses commandes de particuliers qui souhaitent faire une surprise à un proche, ou d’entreprises qui cherchent à se distinguer sur les réseaux sociaux, avec ce genre de happening. Car on l’a compris : pas vraiment le droit à l’erreur. « On ne se sert pas du drone pendant la réalisation, il est juste là pour immortaliser le résultat, renseigne Jben. C’est du one shot, il faut y aller en confiance ! » En croisant les doigts tout de même pour qu’aucun joggeur, cheval ou chien en balade ne vienne malencontreusement marcher sur ce bout de sable, atelier qui ne leur appartient pas complètement.
Une oeuvre de Jben - Jben
Une toile qui n’offre « aucune limite »
Des aléas qui ne semblent cependant jamais venir gâcher le sentiment de liberté que tous disent éprouver quand ils se retrouvent seuls sur la plage, parfois tôt le matin. « On a rarement l’occasion de s’exprimer sur une toile aussi grande, confie Sam Dougados, qui a déjà parcouru les côtes d’une dizaine de pays. Celle-ci n’offre aucune limite mise à part celle du temps, et met nos cinq sens en éveil. Il y a quelque chose de grisant et de très poétique. »
Et aucune frustration lorsque en quelques minutes ou quelques heures, leur minutieux travail disparaît sous les vagues ? « La mer prend notre dessin mais s’engage à nous rendre une feuille toute propre le lendemain, répond Inga. Il y a pu avoir au début un petit pincement au cœur, mais c’est une sorte de contrat que l’on passe avec la nature. »
Source: 20 Minutes