Vingegaard assommant, un rythme effréné et la der’de Pinot… Ce qu’on retient de cette 110e édition

July 24, 2023
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Rideau. Après trois semaines de course effrénée, le Tour de France s’est achevé dimanche sur la victoire surprise de Jordi Meeus. On attendait un autre Belge sur les Champs-Elysées, mais il a manqué quelques centimètres à Jasper Philipsen pour décrocher une cinquième étape. Derrière, Jonas Vingegaard s’est laissé décrocher pour remonter l’avenue parisienne entouré de son équipe, manière de célébrer son second succès d’affilée sur le Tour. Le Danois aura étalé sa supériorité sur Tadej Pogacar lors du contre-la-montre de Combloux, qui a eu un effet massue sur la course, avant de le crucifier le lendemain dans le col de la Loze, point culminant d’une 110e édition également marquée par un spectacle (quasi) permanent, quelques problèmes avec les motos et, bien sûr, les vibrants adieux à Thibaut Pinot.

L’ahurissant chrono de Vingegaard

Comment ne pas commencer par ça ? On a longtemps cru que ce Tour se jouerait à la seconde, avec un suspense haletant jusqu’à la dernière étape de montagne dans les Vosges, samedi. Et puis Jonas Vingegaard a signé un contre-la-montre ébouriffant, mardi, au lendemain de la deuxième journée de repos. En un peu plus de 22 kilomètres, le Danois a relégué Tadej Pogacar à 1’38. Un gouffre, d’autant plus que le Slovène a lui-même réalisé une performance ultra solide. Mais le vainqueur sortant a été stratosphérique, reprenant à son rival 4 secondes par kilomètre, et le double à un rouleur de la trempe de Wout van Aert.

Jonas Vingegaard lors du chrono entre Passy et Combloux, le 18 juillet 2023. - Shutterstock/SIPA

De quoi faire rejaillir les suspicions de dopage. « Je ne prends rien que je ne donnerais pas à ma fille de deux ans », a assuré le maillot jaune. Son directeur sportif Richard Plugge a quant à lui passé son temps à expliquer que son équipe se préparait mieux que tout le monde. Au final, 7’30 d’avance sur Pogacar et quasiment 11 minutes sur Adam Yates, 3e. Assurément, ça bosse bien chez Jumbo.

Un parcours très (très) dur (mais avalé à toute vitesse)

Les suiveurs assidus de la Grande Boucle sont unanimes : ils n’avaient jamais vu les coureurs aussi usés après la première semaine. Il faut dire qu’entre les deux premières étapes dans les reliefs du Pays basque, la haute montagne au menu dès le mercredi et l’arrivée au sommet du Puy de Dôme le dimanche, elle était sacrément corsée cette année.

Ça ne s’est pas arrangé ensuite, avec des tracés parfois moins durs sur le papier mais qui ont donné lieu à une bagarre incessante, et puis l’étape reine de cette édition – quatre ascensions dont le terrible col de la Loze, avant l’arrivée jugée au sommet d’un raidard à 20 % à l’altiport de Courchevel qui a même fait grimacer Vingegaard, c’est dire – placée au cœur de la troisième semaine, qui a achevé tout le monde. Au total, le peloton a avalé 30 cols ou côtes de 2e, 1ère et hors-catégorie, un record. Ce qui ne l’a pas empêché de le faire à près de 42 km/h de moyenne. « On savait que ça allait être très montagneux, c’est aussi lié au lieu du Grand départ. Mais je n’imaginais pas qu’ils allaient courir dès les Pyrénées à ce rythme-là », observe Thierry Gouvenou, l’architecte du parcours.

Le maigre bilan français

Un peu à la manière de Roland-Garros, où la tradition exige d’écrire des papiers désespérés sur le bilan tricolore une fois tous les Français éliminés, les Tricolores n’ont pas non plus brillé sur le vélo cet été. Alors qu’ils partaient sabre au clair avec la ferme intention de faire des résultats, ils n’ont pas répondu aux attentes, à l’image d’un David Gaudu visant le top 3 et se rendant rapidement compte des limites qui sont les siennes face aux tout meilleurs. Il termine finalement 9e, juste devant David Martin. « Je pensais moi-même qu’ils feraient mieux. J’imaginais un Français dans les cinq premiers et peut-être trois Français dans les dix », n’a pas caché le patron de la course Christian Prudhomme au moment du bilan.

Déception aussi du côté de Romain Bardet, jamais vraiment dans le coup mais jamais loin non plus, qui a fini par abandonner sur chute. A l’arrivée, une seule victoire (mais quelle victoire !), celle de Victor Lafay, qui nous aura au moins libéré rapidement de la crainte du zéro pointé en s’imposant avec la manière dès la 2e étape au Pays basque. Au-delà de Thibaut Pinot, dont on reparlera plus loin, Julian Alaphilippe s’est lui aussi beaucoup donné dans les échappées, avant d’exploser en vol en chemin avec une formidable régularité. Le bilan français n’a donc pas de quoi nous arracher un sourire. Heureusement que le duel Vingagaard-Pogacar nous a tenu en haleine pendant presque trois semaines.

Philipsen le glouton

Qu’il semble loin le temps où Philipsen se faisait surnommer « Jasper Disaster », en raison de sa propension à se montrer un peu gauche et tête en l’air, sur le vélo comme dans la vie. Cette année, le Belge de l’équipe Alpecin-Fenix n’était pas venu pour faire marrer les foules. A l’arrivée, même s’il aura raté la dernière sur les Champs, le maillot vert se sera imposé contre l’inconstable maître du sprint mondial, avec quatre victoires d’étape, bien aidé son poisson-pilote de luxe Matthieu Van der Poel.

Jasper Philipsen s'impose à Moulins lors de la 11e étape du Tour de France, le 12 juillet 2023. - Thibault Camus/AP/SIPA

Tout juste peut-on lui reprocher des trajectoires parfois à la limite de légalité… et d’avoir enlevé à Mark Cavendish sa chance de battre le record de victoire d’étapes de Merckx sur le Tour de France (35), lors de l’arrivée à Bordeaux (7e étape). Mais ce n’est pas en faisant dans les sentiments qu’on devient « Jasper The Master ».

Le spectacle sur les étapes « de transition »

Cette édition a encore accentué la tendance dessinée l’an passé : il n’y a plus d’étape facile (ma bonne dame). Les journées qu’on appelait avant « de transition » n’existent plus, et des parcours plutôt anodins sur le papier se retrouvent le théâtre d’une bataille épique dès le kilomètre 0. On pense comme ça à la 10e étape entre Vulcania et Issoire, remportée de main de maître par Bilbao, ou à la 19e sur un profil encore plus lambda, enlevée par Mohoric vendredi. « Tout le monde roule à bloc tout le temps, je ne comprends plus grand-chose », soupirait Alaphilippe au cours de la deuxième semaine, quand il fallait s’y reprendre à huit fois avant de prendre la bonne échappée. Confirmation, en tout cas, que ces étapes offrent parfois bien davantage de spectacle que certaines comportant des cols hors catégorie, comme la 13e, arrivée au sommet du Grand Colombier et quasiment la plus ennuyeuse du Tour.

Pinot seul dans le Petit Ballon

La chair de poule… et cette fichue poussière dans l’œil. Pour tous ceux qui aiment un tant soit peu le vélo, l’étape de samedi dans les Vosges conservera une place à part, tout là-haut dans le rayon des plus beaux souvenirs sur le Tour. Voir Thibaut Pinot se déhancher seul dans le Petit Ballon et arriver en tête dans « son » virage, là où plusieurs centaines de ses plus grands fans s’étaient donné rendez-vous pour une fiesta d’anthologie, on y rêvait sans trop y croire. Mais pour la dernière étape qui compte de son dernier Tour de France, le petit prince de Mélisey a fait les choses bien. « C’était grandiose à vivre, que du bonheur », a réagi à l’arrivée le héros du jour, pas loin des larmes. Son directeur sportif Marc Madiot n’a lui pas pu les empêcher de couler.

Il a marqué tout le monde.

Thibaut Pinot dispute dans quelques minutes la dernière étape de sa carrière sur le Tour de France. pic.twitter.com/IAYJd7ci9A — Équipe Cycliste Groupama-FDJ (@GroupamaFDJ) July 23, 2023 L‘accès à ce contenu a été bloqué afin de respecter votre choix de consentement En cliquant sur « J‘ACCEPTE », vous acceptez le dépôt de cookies par des services externes et aurez ainsi accès aux contenus de nos partenaires J‘ACCEPTE Et pour mieux rémunérer 20 Minutes, n'hésitez pas à accepter tous les cookies, même pour un jour uniquement, via notre bouton "J‘accepte pour aujourd‘hui" dans le bandeau ci-dessous. Plus d’informations sur la page Politique de gestion des cookies.

Pinot n’aura finalement pas réussi à accrocher une dernière victoire d’étape avant la quille, mais il aura tout tenté. Echappé à quatre reprises en montagne, dont mercredi dans l’étape de la Loze, il lui aura manqué un peu de jambes pour finir le travail. Mais avec lui, ça fait longtemps que ce n’est plus une question de victoire ou de défaite. Il aura maintenu la flamme jusqu’au bout, réveillé ces 10 dernières années une passion qui avait préféré se mettre en sommeil pour en finir avec les désillusions. Il y en a eu avec Tibo, mais toujours sportives, et elles ne font pas le poids avec la palanquée d’émotions laissées à Porrentruy, à l’Alpe d’Huez, au Tourmalet ou dans le Prat d’Albis. Pour citer quelqu’un qui le connaît bien, « T'ES GRAND » Thibaut.

Le public/les problèmes avec les motos

Il y aura un avant et un après Tour de France 2023 pour ASO. L’organisateur de la Grande Boucle a bien été obligé de l’admettre : il s’est laissé déborder par la masse de spectateurs qui s’est déplacée le long des routes cette année, et notamment dans les cols. Chaque ascension ou presque a été prise d’assaut par un public plus jeune et bien plus festif qu’avant. Tant mieux pour le spectacle et les images, mais pas toujours pour les coureurs. Encouragés comme jamais, ils sont également plus vulnérables, surtout quand les nouveaux venus n’ont pas forcément les codes d’une course cycliste. Plusieurs coureurs ont ainsi tâté le bitume à cause de comportements plus inconscients que méchants.

Autre problème, l’amas de spectateurs dans les montées a rendu difficile certains passages pour les véhiculent suiveurs. On a ainsi vu deux motos empêcher Tadej Pogacar d’attaquer Jonas Vingegaard au sommet de Joux Plane (14e étape), puis un véritable embouteillage se créer dans le col de la Loze (17e étape), avec plusieurs voitures et motos restés en rade dans un virage à épingle, obligeant de nombreux coureurs qui arrivaient derrière à mettre pied à terre, dont Vingegaard et Pinot.

Jonas Vingegaard et Pello Bilbao se fraient un chemin parmi la foule dans le col de la Loze. - AFP

« On se fait déborder par un nouveau public qu’on n’attendait pas. C’est peut-être l’effet Netflix, ou l’intensité du duel Pogacar-Vingegaard. En tout cas on se retrouve un peu dépourvus. On avait des points chauds avant comme l’Alpe d’Huez et le Ventoux. Mais là c’est partout », relève Thierry Gouvenou. Il va falloir qu’on se pose pour trouver des solutions, peut-être revoir la taille de "l’échelon course" (les règles qui régissent le fonctionnement des véhicules suiveurs en course). » « On va réfléchir à tout ça sereinement. C’est la rançon du succès. Il faudra s’adapter et on devra s’adapter tous ensemble », a pour sa part annoncé Christian Prudhomme.

Source: 20 Minutes