"Je voulais détruire la propagande de Vladimir Poutine", confie Marina Ovsiannikova
La journaliste russe avait interrompu le journal de la télévision d’État en mars 2022 pour dénoncer la guerre en Ukraine, avant de fuir vers la France.
Plus d'un an après avoir brandi une pancarte anti-guerre à la télévision russe, Marina Ovsiannikova témoigne sur France Inter mardi et explique son geste, qu'elle qualifie de "protestation suicidaire". "Je voulais détruire la propagande" mise en place par le Kremlin, assure cette journaliste dissidente. Assignée à résidence après son acte, elle avait été exfiltrée de la Russie vers Paris grâce à Reporters sans frontières en octobre 2022.
En mars 2022, quelques jours après le déclenchement de l'offensive en Ukraine, Marina Ovsiannikova a interrompu le journal "télévisé du soir" de la grande chaîne russe Pervy Kanal, pour laquelle elle travaillait. Sur sa pancarte, elle avait "écrit 'No War' pour le public occidental et pour les Russes 'c'est de la propagande, ici on vous ment'", précise-t-elle un an plus tard. Elle raconte son histoire dans le livre "No war : l'incroyable histoire de la femme qui a osé s'opposer à Poutine" (Archipel).
"Je ne pouvais plus me taire"
À travers ce geste, réalisé en plein direct, Marina Ovsiannikova voulait s'attaquer surtout à la propagande, "arme principale de Vladimir Poutine". Après des années à travailler et donc participer à la diffusion de cette propagande, la guerre en Ukraine est finalement devenue pour elle "un point de non-retour". "Je ne pouvais plus me taire", lance-t-elle. Elle met notamment en avant le fait qu'elle a vécu elle aussi "la même situation dans [son] enfance, quand [sa] maison à Grozny avait été détruite pendant la première guerre de Tchétchénie".
Journaliste et productrice pour la télévision d'État russe, Marina Ovsiannikova décrit la propagande russe dont elle a été témoin et qu'elle compare à la propagande nazie "de Joseph Goebbels" lors de la Seconde guerre mondiale.
"Pendant les vingt dernières années, Vladimir Poutine a détruit tous les médias indépendants. Toutes les chaînes de télé sont sous contrôle de l'État et du matin au soir sur toutes les chaînes russes on n'a qu'un flux incessant de propagande." Marina Ovsiannikova, journaliste russe à France Inter
"Les réseaux sociaux" étant également "bloqués en Russie", la journaliste indique que "pour avoir accès à des sources d'information alternatives aujourd'hui en Russie, il faut installer un VPN sur son portable", ce qui n'est pas chose aisée pour les personnes moins à l'aise avec la technologie.
Vladimir Poutine a "petit à petit détruit toute la télé indépendante russe"
La journaliste reconnaît s'être tue pendant des décennies, mais elle explique surtout que cette propagande n'est pas apparue du jour au lendemain. "Quand j'ai commencé à travailler pour la télé russe, c'était l'époque de Boris Eltsine et à ce moment-là il n'y avait pas de sujet interdit", se remémore-t-elle. Quand Vladimir Poutine est ensuite arrivé au pouvoir, le chef du Kremlin a "petit à petit détruit toute la télé indépendante russe". Désormais, les journalistes doivent "choisir uniquement des actualités contre l'Ukraine et l'Occident". Pourtant, ils ont bien accès aux chaînes étrangères et aux dépêches de presse des agences internationales.
"Je comprenais bien ce qui se passait, mais il n'y avait pas d'autre alternative, soit quitter le métier, soit aller nulle part." Marina Ovsiannikova, journaliste russe à France Inter
Elle explique d'ailleurs que dès le début du conflit en Ukraine, les journalistes ont reçu "un ordre du Kremlin de ne jamais dire 'guerre' mais 'opération spéciale militaire pour libérer les populations pacifiques du Donbass", de ne passer "que des vidéos du ministère de la Défense russe ou du FSB". "Nous étions en train de construire une réalité parallèle", se désole-t-elle. Elle admet ainsi que les journalistes russes ont "déshumanisé les Ukrainiens". "On ne parlait d'eux non pas comme des personnes, mais comme des nazis, on faisait tout pour attiser la haine des Russes contre les Ukrainiens", regrette-t-elle.
Source: franceinfo