Nucléaire : vague d’embauches sans précédent dans le Grand Est

July 24, 2023
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Boudé, le nucléaire est à présent en plein essor. Dans le Grand Est, c’est toute la filière qui s’organise pour dénicher et former ses talents de demain.

Il y a deux ans encore, la filière nucléaire était boudée. Depuis, la donne a changé. En France, d’ici 2030, 100 000 emplois devront ainsi être créés afin de répondre aux nombreux défis ! « Le gouvernement avait prévu la fermeture de douze réacteurs d’ici 2035. Il n’en sera rien. Les dernières études ont convaincu les politiques que pour réussir la transition énergétique, il faut deux choses : de l’énergie renouvelable, et des moyens de production pilotables ne dépendant ni du vent, ni du soleil. C’est pourquoi le nucléaire redevient un sujet d’avenir », explique Jérôme Le Saint, directeur de la centrale de Cattenom.

Depuis la guerre en Ukraine, la souveraineté énergétique est devenue un enjeu géopolitique majeur. Sur cet aspect, l’efficacité du nucléaire est indéniable : à elle seule, la centrale de Cattenom subvient aux besoins en électricité de plus de 2 millions de foyers dans le Grand Est, ce qui correspond aux deux tiers des habitants.

Enfin, selon Jérôme Le Saint, « le nucléaire rejette 4 grammes de Co2 par kWh d’électricité produite. Même l’éolien fait moins bien, car la construction nécessite l’intervention d’engins et de matériel fortement émetteurs. »

Des éléments et événements qui ont conduit Emmanuel Macron à franchir un nouveau cap dans la stratégie nucléaire du pays. En février dernier, dans son discours prononcé à Belfort, le chef de l’État a annoncé la mise en service de six réacteurs nucléaires de type EPR 2 pour 2050. Bilan : 50 milliards d’euros d’investissement et mécaniquement des besoins en compétences inouïs. Le Grand Est n’est pas concerné par ces installations mais a candidaté pour accueillir à son tour des EPR 2 au lancement de la deuxième vague du programme.

1 500 emplois par an jusqu’en 2030

Dans la région, jusqu’en 2030, entre 1 000 et 1 500 emplois supplémentaires par an doivent être pourvus alors que la filière compte déjà 20 000 salariés, soit 10 % des effectifs nationaux. Ça s’explique : avec huit réacteurs nucléaires, dont quatre à Cattenom, deux à Chooz (Ardennes) et deux à Nogent-sur-Seine (Aube), mais aussi une centrale en démantèlement (Fessenheim), un projet d’enfouissement des déchets avec Cigéo à Bure (Meuse) et plusieurs services de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) localisés dans l’Aube, « le Grand Est réunit quasiment l’intégralité des savoir-faire du nucléaire », rappelle Jérôme Le Saint.

Surtout, le programme de grand carénage mis en place par EDF en 2014, qui correspond à des travaux gigantesques sur les centrales françaises afin d’en améliorer la sûreté, est très pourvoyeur d’emplois. Sur la centrale mosellane, le réacteur numéro 4 sera le prochain à recevoir cette visite décennale. Elle devrait avoir lieu fin 2023 ou au début de l’année prochaine. Ensuite, ce sera au tour du réacteur numéro 1 dont la visite est programmée pour 2027. « 250 modifications devraient être réalisées sur le réacteur numéro 4 », précise Jérôme Le Saint. Alors que la centrale de Cattenom compte 1 500 salariés EDF et 800 employés issus de prestataires industriels en temps normal, « en phase de visite décennale, on monte jusqu’à 4 500 personnes sur le site », explique Fabien Cailly, président du Groupement des industriels de la maintenance Est (GIMEst), association qui regroupe environ 120 entreprises de la filière dans le Grand Est. D’une durée de cinq mois environ, ces opérations sont renouvelées tous les dix ans. Avec ses huit réacteurs, la région doit en passer par là quasiment une fois par an.

Avec 56 réacteurs en France, les maintenances sont quotidiennes. Or, certaines entreprises du Grand Est peuvent être amenées à travailler sur des sites ailleurs que dans le Grand Est. « Nous disposons d’un marché national pour construire des centres de crises locaux post-Fukushima et liés aux grands carénages. Ce qui fait que nous intervenons sur toutes les centrales de France », illustre Fabien Cailly, reprenant ainsi sa casquette de directeur de développement chez Demathieu Bard. L’inverse est vrai aussi : « À la centrale de Cattenom, un tiers des investissements sont fléchés vers des prestataires locaux », éclaire Jérôme Le Saint. Ce qui signifie que de nombreuses entreprises hors Grand Est profitent des besoins de la centrale. L’écosystème se pense donc à l’échelle du pays.

Dans ce cadre-là, la construction des réacteurs nucléaires EPR 2 pourrait aussi impliquer des prestataires du territoire. En prévision, Fives Nordon (120 millions d’euros de chiffre d’affaires, 900 salariés), le sous-traitant basé à Nancy et spécialisé dans la tuyauterie industrielle, a noué dix contrats de partenariat avec des cabinets de recrutement et travaille avec l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) pour recruter 300 collaborateurs d’ici 2025.

« C’est une première vague. Ensuite, nous comptons embaucher encore 300 salariés supplémentaires avant 2029. Nous recherchons des tuyauteurs, des soudeurs, des chaudronniers, des calculateurs… En alternance mais aussi en CDI », explique Sophie Gasse, directrice des ressources humaines de l’entreprise.

La formation avant l’emploi

Avant de parvenir à ces métiers toujours bien rémunérés, souvent techniques, il faut se former. Le GIMEst en a fait une priorité : « On considère qu’il existe entre 15 et 20 métiers en tension sur les 85 que compte la filière nucléaire. Au GIMEst, nous fédérons les gros donneurs d’ordre avec EDF, Framatome… et tous les partenaires industriels du secteur d’activité afin de nous doter d’une visibilité sur dix ans, métier par métier », affirme Fabien Cailly. Sans oublier que de nouvelles professions, autour du numérique ou de la cybersécurité, s’installent dans la filière.

Le monde du nucléaire s’organise et les démarches se multiplient : l’Université des Métiers du Nucléaire porte un programme qui comprend une bourse de 600 euros par mois pour 250 apprenants, dont 32 dans le Grand Est. « Ce programme concerne des apprenants des lycées de la Briquerie à Thionville, Blaise Pascal à Saint-Dizier et Henri Loritz à Nancy. L’objectif est également de trouver à ces jeunes des contrats en alternance pour leur apprentissage afin de les intégrer aux entreprises », développe Fabien Cailly.

L’année prochaine, l’initiative montera en puissance, et ce sont 450 élèves français qui pourront bénéficier de cette bourse financée notamment par France Relance. Un peu maigre par rapport aux besoins ? En parallèle, d’autres actions sont menées : « Nous avons un projet de coloration des formations, “Le passeport pour le nucléaire”. À partir de septembre 2023, ça part en expérimentation dans toute la région Grand Est auprès de lycées, d’écoles d’ingénieurs, de BUT (Bachelor Universitaire de Technologie). Nous aimerions également encourager la possibilité de réaliser des stages de troisième », complète Jérôme Le Saint. De nombreuses entreprises, comme EDF, s’investissent et apportent leur contribution à l’ambition dont le pilotage est assuré par l’Éducation nationale et la structuration réalisée par l’Université des Métiers du Nucléaire qui coordonne le tout afin que l’offre soit diversifiée et se complète dans chaque ville du Grand Est. « Avant de parler emploi, il faut attirer les jeunes aux formations dédiées », détaille Jérôme Le Saint.

De son côté, le GIMEst, en partenariat avec EDF et Pôle emploi, monte une formation de soudeur nucléaire. Sept entreprises adhérentes se sont déjà manifestées pour prendre un candidat et le former dans la perspective d’une embauche dès l’année suivante.

Avec ce grand coup d’accélérateur, la filière du nucléaire espère réussir sa vaste campagne de recrutement. « C’est une industrie qui mise sur le long terme. Les premiers EPR 2 ne seront opérationnels qu’à partir de 2035. Si nous manquons d’effectifs à la fin de l’année, la filière ne sera pas en péril », affirme Jérôme Le Saint. Une chance parce que le nucléaire a de la concurrence suite à la recrudescence de l’intérêt pour l’industrie de façon générale : l’aéronautique ou l’automobile plaisent aussi, et avant la coloration nucléaire des formations, le cursus est similaire. « Un bon problème », selon Fabien Cailly. « Ça prouve que la France se réindustrialise. » Bon problème, problème quand même. « À Cattenom, en mars dernier, conjointement avec les entreprises qui travaillent avec nous et EDF, nous avons organisé un forum de l’emploi. 900 personnes sont venues et nous avons récupéré 400 CV. On constate un intérêt grandissant », positive Jérôme Le Saint. À tel point que l’opération, calée sur la Semaine nationale des métiers du nucléaire organisée par Pôle emploi, sera reconduite les 9 et 10 février 2024.

L’info en + Le site unique de la filière (monavenirdanslenucleaire.fr) indique toutes les formations disponibles. Des offres d’apprentissage seront ajoutées au mois de septembre. Et l’hiver prochain ? Selon Jérôme Le Saint, directeur de la centrale nucléaire de Cattenom, l’hiver prochain se présenterait mieux que le précédent. « Plus de réacteurs seront disponibles. L’année dernière, les problèmes de corrosion sous contrainte avaient causé beaucoup de tort. Maintenant, nous connaissons mieux ces opérations qui prennent donc moins de temps : quatre semaines contre douze. Les durées d’arrêt sont plus courtes et les unités sont reconnectées au réseau avec de l’avance, comme Cattenom 1 ou Nogent-sur-Seine 2 récemment. » Sécheresse : « Aucune inquiétude » La centrale de Cattenom utilise 9 mètres cubes d’eau par seconde pour fonctionner. Elle en restitue les deux tiers dans la Moselle mais le reste s’évapore. Dans ce cadre, les sécheresses répétées pourraient-elles poser problème ? « Depuis trois hivers, on maximise le remplissage du barrage du lac de Pierre-Percée (Vosges) pour avoir beaucoup d’eau pendant les étés. On peut aussi s’appuyer sur notre réserve du Mirgenbach et on recherche d’autres zones à exploiter. En parallèle, on booste nos échangeurs thermiques qui permettent de refroidir les pompes et on augmente les débits de ventilation de la centrale. Il n’y a aucune inquiétude à avoir », explique Jérôme Le Saint, directeur de la centrale.

Source: La Semaine