Mondiaux de natation : le destin bouleversé d’Anastasiia Kirpichnikova, nageuse russe passée sous pavillon français

July 25, 2023
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Anastasiia Kirpichnikova, lors de sa série du 1500 m nage libre, au Marine Messe de Fukuoka (Japon), lundi 24 juillet 2023. YUICHI YAMAZAKI / AFP

Après cinq épreuves en eau libre et en bassin aux Mondiaux de Fukuoka (Japon) – qui se déroulent jusqu’au dimanche 30 juillet dans la baie de Hakata, au nord de l’île de Kuyshu – Anastasiia Kirpichnikova n’a pas encore goûté au podium. Mardi, elle a pris la 4e place sur le 1 500 m (en 15 min 48 s 53, à 22 s 26 de l’Américaine Katie Ledecky, intouchable), mais elle a tout de même célébré une « victoire ». La veille, la protégée de Philippe Lucas avait déjà battu le plus vieux record de France, qui appartenait depuis 2006 à son ancienne élève, Laure Manaudou (16 min 00 s 40 contre 16 min 03 s 01). « Ca faisait longtemps que je ne m’étais pas sentie aussi bien. Une 4e place, c’est pas mal, je ne vais pas pleurer, je fais mon meilleur temps, je suis contente et peut-être que je ferai une médaille à Paris… », a-t-elle réagi à la sortie du bassin, un grand sourire aux lèvres.

Les minutes interminables et la boule au ventre qui prend aux tripes dans la chambre d’appel avant de monter sur le plot avaient fini par lui manquer, après deux ans sans nager en compétition internationale.

La carrière d’Anastasiia Kirpichnikova a pris un nouveau virage le 21 avril. Ce jour-là, la jeune femme de 23 ans apprenait sa naturalisation par un décret publié au Journal officiel. Après avoir longtemps hésité, la nageuse née à Asbest, une petite ville industrielle de l’Oural située à 1 850 kilomètres de Moscou, s’est résolue à changer de pavillon. La guerre en Ukraine ne lui a pas vraiment laissé le choix.

Le 23 mars 2022, la fédération internationale de natation, après avoir autorisé dans un premier temps les nageurs russes et biélorusses à concourir sous bannière neutre, a finalement suivi la décision de la plupart des autres fédérations sportives d’exclure les athlètes des deux pays des compétitions internationales. Une mise au ban toujours en vigueur aujourd’hui, les privant de Mondiaux pour la deuxième année consécutive.

La carrière de Kirpichnikova, alors en pleine ascension, s’en est retrouvée stoppée net. Double finaliste aux Jeux de Tokyo avec la Russie, elle venait de décrocher en petit bassin trois médailles d’or aux championnats d’Europe (sur 400 m, 800 m, 1 500 m nage libre) et une d’argent aux Mondiaux d’Abou Dhabi sur 800 m, en 2021. Deux mois plus tard, le président russe, Vladimir Poutine, annonçait une « opération militaire spéciale » contre l’Ukraine.

« Ça a été très dur, difficile, racontait la nouvelle membre de l’équipe de France à RMC Sport le 11 juin, quelques jours après avoir récupéré son nouveau passeport à Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône). Je n’avais pas la motivation. Je pleurais, je ne voulais pas nager… J’ai fait le choix de changer quelque chose dans ma vie parce qu’une carrière, ce n’est pas long. »

« Je veux gagner plein de médailles pour la France »

Pendant un an et demi, elle a regardé ses coéquipiers faire leurs valises et rallier les grands rendez-vous, sans elle. Celle qui ne quitte jamais ses boucles d’oreilles représentant les anneaux olympiques n’a pas loupé la moindre séance d’entraînement, avalant consciencieusement ses 85 kilomètres hebdomadaires. « Cette fille est un exemple (…). Ça n’a pas toujours été facile, mais elle est tellement dure au mal et professionnelle, elle s’est accrochée », insistait dans L’Equipe, le 13 juillet, le coach Philippe Lucas, qu’elle a rejoint en 2019, d’abord à Montpellier, désormais à Martigues (Bouches-du-Rhône).

Kirpichnikova sentait qu’elle stagnait en Russie. « La France est mon deuxième pays, c’est ma maison. Je veux gagner plein de médailles pour la France », disait-elle timidement dans la langue de Molière qu’elle apprivoise peu à peu, mi-juin, à Rennes. Lors des championnats de France en Ille-et-Vilaine, elle a remporté trois titres en grand bassin (sur 400, 800 et 1 500 m nage libre). Samedi 29 juillet, il lui restera la finale du 800 m pour espérer décrocher sa première médaille sous son bonnet bleu blanc rouge… aux bandes désormais verticales.

Source: Le Monde