Référendum d'autodétermination, relations avec Paris... Que change le retour au pouvoir des indépendantistes en Polynésie française ?
Avec la victoire du parti Tavini aux élections territoriales, lundi, c'est un nouveau chapitre qui s'ouvre pour l'archipel du Pacifique.
A 15 000 kilomètres de Paris, au cœur de l'océan Pacifique, l'avenir d'un petit morceau de la République est peut-être en train de se jouer. Dix ans après avoir déjà présidé aux destinées de la Polynésie française, les indépendantistes sont de retour aux manettes. En obtenant 44,3% des voix, le parti Tavini a remporté le second tour des élections territoriales, lundi 1er mai.
Ce résultat ouvre un nouveau chapitre dans l'histoire des relations entre l'Hexagone et Papeete. Plusieurs questions se posent, notamment sur l'autodétermination. Franceinfo répond à quatre d'entre elles.
Est-ce un premier pas vers l'indépendance ?
"C'est la seule voie si on veut éradiquer la pauvreté qui ronge notre pays." Dès la proclamation des résultats, Oscar Temaru, le leader de la liste indépendantiste Tavini, a réaffirmé sa volonté de couper les liens avec la France.
Mais derrière ces mots, il y a une autre réalité. Sémir Al Wardi, professeur de science politique à l'université de la Polynésie française, distingue deux lignes au sein même du parti Tavini. Les traditionalistes, pressés de s'affranchir de Paris, sont incarnés par une vieille garde qui ne pardonne pas les 193 essais nucléaires effectués en Polynésie entre 1966 et 1996. Les modernistes souhaitent davantage de temps. Pendant la campagne, ils se sont "évertués à démontrer que l'indépendance n'était pas le sujet", analysait, deux jours avec le second tour, le spécialiste auprès de Polynésie la 1ère.
Ce second courant est notamment porté par un homme, Moetai Brotherson. C'est lui qui devrait accéder à la présidence de la Polynésie française le 10 mai. "Nous n'allons pas être indépendants demain ni la semaine prochaine (...) Je n'ai aucun problème à travailler avec l'Etat et ça ne va pas changer demain", a-t-il déclaré après sa victoire, sur la chaîne de télévision TNTV, selon l'AFP.
L'indépendantiste Moetai Brotherson, le 24 novembre 2022, à l'Assemblée nationale, à Paris. (XOSE BOUZAS / HANS LUCAS / AFP)
Le leader de l'aile modérée des indépendantistes a déjà stipulé que l'organisation d'un référendum d'autodétermination prendrait "dix à quinze ans". Il ne pourra donc pas y parvenir au cours de son mandat.
Que souhaite alors le prochain homme fort de Polynésie ?
Moetai Brotherson entend apaiser les relations avec Paris. Il préfère s'appuyer sur l'ONU pour négocier avec la France un processus de décolonisation progressif. Après une première inscription en 1946-1947, la Polynésie française a été réintégrée en 2013 à la liste des Nations unies des territoires non autonomes à décoloniser, dans laquelle figure aussi depuis 1986 la Nouvelle-Calédonie voisine.
L'ONU a affirmé dans une résolution "le droit inaliénable de la population de la Polynésie française à l'autodétermination et à l'indépendance". Elle a demandé au gouvernement français de "faciliter et accélérer la mise en place d'un processus équitable et effectif d'autodétermination" sur ce territoire, ouvrant la voie à un référendum d'autodétermination par lequel la population polynésienne pourrait à terme se prononcer en faveur de l'indépendance, de la départementalisation ou d'un statut intermédiaire d'autodétermination.
Yannick Fer, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de la Polynésie française, souligne que le Tavini a "toujours regardé ce qu'il se passait du côté de la Nouvelle-Calédonie". "Ils sont très proches du FLKNS", le Front de libération nationale kanak et socialiste, et "ils veulent la même chose".
Comment le gouvernement réagit-il ?
"Les Polynésiens ont voté pour le changement. Le gouvernement prend acte de ce choix démocratique", a déclaré lundi le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, sur Twitter. Après le dossier suffisamment épineux de la Nouvelle-Calédonie, le retour des indépendantistes au pouvoir en Polynésie ne constitue pas une bonne nouvelle pour Paris. "On rentre forcément dans un bras de fer, qui pourrait avoir comme point central le calendrier", abonde le politologue Benjamin Morel sur France 2.
"L'Etat français avait pris l'habitude de donner l'équivalent de la feuille de route au gouvernement de Polynésie, notamment sur les exigences budgétaires, fait remarquer Yannick Fer. Mais là, le gouvernement local a des objectifs de justice sociale, d'égalité, ce qui change tout."
A l'été 2021, lors d'un déplacement de quatre jours en Polynésie, Emmanuel Macron avait mis en garde les collectivités ultramarines tentées de quitter la République. "Dans les temps qui s'ouvrent, malheur aux petits, malheur aux isolés, malheur à celles et ceux qui vont subir les influences, les incursions de puissances hégémoniques qui viendront chercher leur poisson, leurs technologies, leurs ressources économiques", avertissait le président, dans une allusion à Pékin.
En février, Gérald Darmanin avait formulé une pensée similaire lors d'une journée de conférences sur l'outre-mer organisée à Paris. "Si la France s'en va, qui va venir ? Si vous n'êtes pas capables de vous débrouiller personnellement, qui va venir ? La Chine !", prévenait le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer, selon des propos rapportés par Tahiti infos.
Interrogé par Le Figaro (article pour les abonnés), Sémir Al Wardi se montrait nuancé, fin avril : "L'Etat a un contrôle total de la situation en matière d'indépendance. Paris reste donc maître du jeu". Par ailleurs, le politologue estime que seuls "entre 20 et 30% des Polynésiens sont en faveur de l'indépendance".
Quelles réformes pourraient mener les indépendantistes ?
Avec la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française est le seul territoire ultramarin à posséder son propre Parlement, son gouvernement et son président. "L'autonomie engendre des compétences élargies et la compétence de droit commun y est inversée : on donne quelques compétences à l'Etat, comme les matières régaliennes [justice, défense, politique étrangère, sécurité...] et tout le reste est forcément d'attribution polynésienne", détaillait, mi-avril, à franceinfo Arnaud Busseuil, docteur en droit public.
Les représentants de l'Assemblée locale élaborent les "lois du pays", "actes qui relèvent du domaine de la loi" précise l'Etat. Le président de la Polynésie joue un rôle prépondérant. "Il a des leviers plus puissants qu'un président de conseil régional. Pendant cinq ans, il décide de tout en Polynésie", explique Sémir Al Wardi à franceinfo.
Les indépendantistes ont des sujets particulièrement pressants à régler. Une étude réalisée en mars 2022 par l'Institut de la statistique en Polynésie française révélait que 26% des Polynésiens vivaient sous le seuil de pauvreté (contre 14% des métropolitains). Les indépendantistes, qui ont notamment fait campagne sur la lutte contre la vie chère, affirment aussi vouloir protéger l'emploi local, aider l'agriculture et l'artisanat. Ils veulent aussi et surtout favoriser le tourisme, le principal moteur économique de l'archipel. Sans cela, ce dernier reste très dépendant de Paris. En 2021, l'Etat dit avoir versé l'équivalent d'un milliard d'euros "au profit des compétences de la Polynésie française".
Pour devenir indépendante, la Polynésie devrait donc trouver de nouvelles ressources pour combler ce possible manque. Au micro de Polynésie la 1ère, lundi, Moetai Brotherson a d'ailleurs caressé dans le sens du poil les patrons. Il a répété que la rupture n'était pas à l'ordre du jour.
Source: franceinfo