Thales devient un leader mondial de la cybersécurité

July 25, 2023
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En rachetant l'américain Imperva pour 3,4 milliards de dollars, le groupe de défense intègre le top 5 mondial.

Changement de dimension dans la cybersécurité pour Thales. Cela, via l'acquisition ­d'Imperva, l'un des champions américains du secteur dont le nom résume la mission. Imperva est dérivé du latin « impervius », signifiant « impénétrable »…

Le groupe de défense et de hautes technologies a annoncé mardi, avoir trouvé un accord avec le fonds d'investissement Thoma Bravo pour lui racheter 100 % du capital d'Imperva, pour 3,4 milliards de dollars (50 % en cash et 50 % via une émission obligataire). Une fois l'opération bouclée, début 2024, Thales deviendra un leader « de classe mondiale » de la cybersécurité, intégrant le top 5 international, avec 2,4 milliards de chiffre d'affaires, contre 1,5 milliard précédemment, et 8 000 salariés, dont 5 800 experts cyber.

«Opération Ipanema»

L'opération Ipanema, son nom de code, a été engagée il y a un an. « Tout a commencé par des discussions entre le management d'Imperva et celui de nos activités cyber civiles, portant sur des accords commerciaux croisés. L'idée s'est peu à peu imposée d'aller plus loin afin d'exploiter tout le potentiel d'un rapprochement amical de nos activités », raconte Patrice Caine, PDG de Thales, au Figaro. Pendant l'automne dernier, les discussions entrent dans une phase active, sous la supervision de ­Philippe Keryer, directeur de la stratégie de Thales. Le groupe français fait alors une offre qui est bien reçue par Thoma Bravo. Ce qui ouvre une phase de « due diligence » (vérifications des livres de comptes, NDLR) et de « coconstruction, avec le management d'Imperva, du plan de développement ». « Thoma Bravo, qui n'envisageait pas la vente d'Imperva, achetée en 2019, avant 2024, a accepté, si nous tombions d'accord sur la valorisation, de réaliser une transaction de gré à gré », précise Patrice Caine. Dès lors, l'opération a été bouclée en moins de trois mois.

Reste désormais à obtenir le feu vert des autorités de la concurrence ainsi que du Cifus, le Comité sur les investissements étrangers aux États-Unis. À cet égard, Thales, qui a été conseillé par Morgan Stanley et Centerview Partners, « n'anticipe pas de difficultés particulières ». En particulier, un feu vert sous « proxy agreement », c'est-à-dire avec notamment l'obligation d'avoir des administrateurs américains choisis par Washington. « Thales est une société connue et respectée aux États-Unis, où nous avons depuis longtemps une société sous proxy, qui participe à des programmes de défense confidentiels », explique Patrice Caine. En outre, Imperva (500 millions de chiffre d'affaires et 1 400 salariés) évolue uniquement sur le marché cyber civil.

Le choix d'Imperva s'est imposé car c'est un actif « rare et de qualité », sur un marché très fragmenté, évalué à 136 milliards en 2022 et 267 milliards en 2026 par Accenture et le Gartner Group. La société californienne, créée en 2002, dispose d'un potentiel de croissance à deux chiffres et d'une forte rentabilité (Ebit) d'environ 20 %. Imperva apporte des activités complémentaires à celles de Thales, dans le domaine de la sécurité des applications sur le web (firewalls notamment), de solutions contre les dénis de service et les « bots » malveillants, ces programmes qui mènent des attaques.

L'activité cyber civile de Thales est spécialisée dans les logiciels et le cryptage, les clés de chiffrement et les modules de sécurité. Imperva apporte ses centres d'ingénierie aux États-Unis (58 % de ses ventes), au Canada, en Inde et en Israël et un portefeuille de 6 000 grands clients dans 180 pays. Une complémentarité qui doit générer 110 millions de dollars de synergies récurrentes à partir de 2028.

Une fois l'acquisition bouclée, Imperva sera intégrée au sein de la division identité et sécurité (DIS) de Thales, qui chapeautera l'ensemble des activités civiles cyber. DIS doit en effet aussi intégrer la pépite cyber australienne Tesserent, dont l'acquisition a été annoncée mi-juin. En 2024, Thales prévoit de transférer à DIS ses 11 centres de supervision cyber (veille active, identification des signatures de hackeurs, tests de sécurité et solutions pour contrer les cyberattaques, etc.), actuellement logés dans sa division défense et sécurité. En revanche, les activités cyber militaires resteront dans la branche défense.

L'acquisition d'Imperva intervient sur un marché en pleine croissance, en raison de l'explosion des menaces cyber dans nos sociétés de plus en plus connectées. Et dont le coût mondial tournera autour de 10 000 milliards de dollars dans les prochaines années, selon McKinsey. Mais aussi sur un marché en pleine consolidation. En 2022, Google a racheté Mandiant pour 5,4 milliards, Datto est tombé dans l'escarcelle de Kaseya pour 6,2 milliards et Thoma Bravo s'est constitué un portefeuille d'actifs cyber, en rachetant entre autres SailPoint et ForgeRock. « Cette consolidation est inévitable sur un marché de la cybersécurité où la fragmentation est un problème (…). Presque tous les clients auxquels j'ai parlé ont en moyenne 30 à 50 fournisseurs de cybersécurité », relevait Nikesh Arora, PDG de Palo Alto Networks, leader mondial des éditeurs cyber, fin 2022. Même constat pour Thales. « Nos clients qui sont des responsables des systèmes d'information font face à un foisonnement de solutions et cherchent des solutions globales. C'est ce que nous allons leur proposer avec une offre intégrée de solutions cyber », abonde Patrice Caine.

Renforcement dans l'aéronautique

L'acquisition d'Imperva est le mouvement stratégique le plus important de Thales depuis le rachat de l'ex-Gemalto pour 4,8 milliards d'euros en 2019. Depuis 2014, le groupe a construit patiemment, de Vormetric aux États-Unis aux jeunes pousses européennes S21Sec, Excellium et OneWelcome en passant par Tesserent, une force de frappe dans la cyber, où Thales pesait quelque 350 millions de ventes. En dix ans, l'activité cyber s'est musclée avec 9 acquisitions, dont Imperva.

Dans le même temps, Thales s'est aussi renforcé dans l'aéronautique, avec le projet d'acquisition de Cobham Aerospace communications et la défense, avec le rachat des activités d'entraînement des forces du suisse Ruag. Tout en vendant des actifs tels que la signalisation ferroviaire (le closing est attendu fin 2023). « C'est une source de fierté et notre marque de fabrique : nous améliorons de façon continue la qualité du portefeuille d'activités de Thales. C'est sans doute ce qui nous distingue d'autres groupes », conclut Patrice Caine. Donc, une fois Imperva et Cobham intégrés, il faut s'attendre à d'autres mouvements de la part de Thales…

Source: Le Figaro