Les pontes des tortues caouannes dans les Alpes-Maritimes, le Var et l’Hérault interrogent les spécialistes
Giacomo Augugliaro / Getty Images Giacomo Augugliaro / Getty Images
BIODIVERSITÉ - « Du jamais-vu en France ! » En trois semaines, des Alpes-Maritimes à l’Hérault, six tortues marines de l’espèce protégée caouanne ont choisi les plages françaises pour faire leur nid. Une multiplication des pontes qui pourrait être due au réchauffement des eaux de la Méditerranée.
La dernière découverte date du week-end dernier : une tortue caouanne est venue pondre sur la plage de Fréjus (Var). Très rapidement, les spécialistes de l’Office français de la biodiversité et du Réseau tortues marines de Méditerranée française (RTMMF) se sont mobilisés pour protéger le nid.
« On se pose beaucoup de questions », reconnaît auprès de l’AFP Céline Ferlat, chargée de mission au Centre d’étude et de sauvegarde des tortues marines de Méditerranée, basé au Grau-du-Roi (Gard).
Quelques jours plus tôt, le 18 juillet, un promeneur a remarqué sur le lido de Thau, à Sète (Hérault), des traces de passage d’une tortue, relate Céline Ferlat, qui s’est rendue sur place et a confirmé la présence d’œufs de cette espèce vulnérable.
Des barrières de protection ont été installées et un arrêté municipal interdit de pénétrer dans un périmètre d’environ 10 m2 pendant la période d’incubation, d’une durée moyenne de 55 jours, qui s’achèvera si tout se passe bien par la périlleuse course à la mer des bébés tortues.
« Bientôt, des instruments de suivi de température seront mis en place afin de collecter des données scientifiques nécessaires pour une meilleure compréhension du phénomène », indique la préfecture de l’Hérault.
Les scientifiques s’interrogent
Traditionnellement, les zones de reproduction des tortues caouannes en Méditerranée sont la Grèce, la Turquie, la Libye ou Chypre. Ce sont des animaux migrateurs qui font 90 cm et 150 kg à l’âge adulte et qui ne sortent de l’eau que pour pondre leurs œufs sur une plage de sable, dans un trou qu’elles creusent puis recouvrent avec leurs nageoires.
« Depuis une dizaine d’années, on constate une augmentation des pontes en Italie et en Espagne. En France, où on avait une ponte tous les ans ou tous les deux ans, l’augmentation est vraiment marquée cette année », souligne Céline Ferlat : outre celles de Fréjus et Sète, des pontes ont été relevées depuis début juillet à Marseillan (Hérault), Villeneuve-Loubet (Alpes-Maritimes), Porquerolles et Saint-Cyr-sur-Mer (Var). Elle ajoute : « C’est encourageant en termes d’évolution favorable des populations, reste à voir comment les tortillons vont grandir et évoluer. »
« Cette tendance interroge les scientifiques », confirme la préfecture de l’Hérault : « Les nids déposés en Méditerranée occidentale sont-ils viables, la température du sable est-elle suffisante ? Certaines tortues marines seraient-elles en train de coloniser de nouveaux habitats de ponte ? »
Deux hypothèses pourraient expliquer la présence accrue de la tortue, selon Sidonie Catteau, coordinatrice du RTMMF et cheffe de projet « Tortue marine » à l’Association Marineland : d’abord « le réchauffement climatique, qui entraîne un réchauffement des eaux de surface et donc un changement des courants », et ensuite « l’évolution naturelle des sites de ponte, avec des sites qui disparaissent et d’autres qui apparaissent ».
D’autres espèces peu communes présentes
Au-delà des tortues, les scientifiques relèvent la présence « sporadique » d’autres espèces peu communes sous nos latitudes, notamment le béluga dans la Seine en 2022 ou des pingouins torda, observés l’hiver dernier sur la Côte d’Azur et en Corse.
Le pingouin torda vit « plutôt en Europe du Nord et hiverne dans le sud du bassin méditerranéen », explique Isabelle Brasseur, responsable recherche et conservation du Marineland d’Antibes, qui a participé au sauvetage du béluga.
La présence « encore sporadique » des pingouins torda « peut s’expliquer par des tempêtes dans le nord de l’Europe qui ont sans doute poussé la population à quitter plus tôt sa zone habituelle », ajoute Isabelle Brasseur qui évoque « plus un épiphénomène ».
D’après la chercheuse, avant qu’un phénomène devienne « significatif », il faut que celui-ci se répète sur plusieurs années consécutives. Il n’y a actuellement pas eu assez de répétitions d’évènements pour les différentes espèces pour évoquer un changement de distribution de la population, tempère-t-elle.
Reste qu’au moment où la température de la Méditerranée atteint des niveaux records, « on peut imaginer que les animaux les plus touchés par un changement de la température de l’eau sont les espèces ectothermes, comme les tortues, dont la température est égale à celle de leur environnement ».
Voilà pourquoi, quand la tortue arrive devant Fréjus, « elle peut se dire, à tort : ’Je suis en Grèce’ », son lieu habituel de ponte.
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Source: Le HuffPost