En RDC, des Jeux de la francophonie sans la secrétaire générale de l’OIF

July 27, 2023
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La secrétaire générale de la Francophonie, Louise Mushikiwabo, lors du 18e sommet de l’OIF, à Djerba, en Tunisie, le 20 novembre 2022. FETHI BELAID / AFP

Au stade des Martyrs de Kinshasa, son siège restera vide. Les neuvièmes Jeux de la francophonie ouvriront, vendredi 28 juillet dans la capitale de la République démocratique du Congo (RDC), sans la secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), la Rwandaise Louise Mushikiwabo.

« Sa décision est ferme, elle ne changera pas d’avis, explique Oria Vande Weghe, sa porte-parole. Le 21 juin s’est tenue une réunion au cours de laquelle les autorités congolaises ont annoncé que le ministre des affaires étrangères [Christophe Lutundula] remettrait en mains propres à Louise Mushikiwabo son invitation. Dans les jours suivants, un rendez-vous a même été organisé pour cela. Mais la semaine dernière, le ministère des affaires étrangères a fait savoir qu’il n’y aurait pas de rendez-vous, ni même d’invitation. Considérant qu’elle n’était pas la bienvenue, Mme Mushikiwabo a donc annulé son séjour. »

Le gouvernement congolais avait pourtant confirmé sa présence. « Elle sera là parce que c’est elle qui organise les jeux avec la République démocratique du Congo », assurait Patrick Muyaya, ministre de la communication et porte-parole du gouvernement, lors d’un briefing avec la presse lundi. « Il va de soi que la secrétaire générale de l’OIF sera présente le jour de la cérémonie avec le président du pays hôte [Félix Tshisekedi]. Nous attendons son arrivée, elle sera la bienvenue à Kinshasa », ajoutait le même jour Isidore Kwandja, directeur du comité national de ces jeux qui doivent accueillir jusqu’au 6 août quelque 3 000 jeunes sportifs et artistes originaires d’une trentaine de pays.

« Bouc émissaire »

« Mme Mushikiwabo a prétexté des problèmes protocolaires pour ne pas venir, alors qu’en tant que coorganisatrice il était évident qu’elle était invitée, indique une source au sein de la présidence congolaise. La secrétaire générale a probablement eu peur d’être huée au stade. Même si elle était un peu tardive, une invitation lui a bien été envoyée… Nous n’en avons pas après les Rwandais, mais après le régime de Paul Kagame. »

Cet épisode intervient dans un contexte de fortes tensions entre la RDC et son voisin. Kinshasa reproche à Kigali de soutenir activement la rébellion du Mouvement du 23-Mars (M23), qui a relancé une offensive dans l’est de la RDC depuis novembre 2021. Des accusations qui ont ensuite été étayées par un groupe d’experts de l’ONU, qui a dit en juin avoir identifié « des soldats portant clairement l’uniforme militaire de l’armée rwandaise » et ayant « fourni des renforts aux éléments M23 dans le but de s’emparer de zones stratégiques ou de les renforcer ».

L’Union européenne (UE) et la France ont également condamné ce soutien au groupe rebelle, qui refuse pour l’heure de démobiliser ses troupes. Kigali dément quant à lui son soutien au M23. « Le Rwanda fait figure de bouc émissaire. Il l’est aux yeux d’une communauté internationale qui a failli, et il l’est pour les responsables congolais, trop heureux de trouver une excuse à leur propre incapacité », avait indiqué le président Paul Kagame dans un entretien au magazine Jeune Afrique en janvier.

Louise Mushikiwabo a été réélue à la tête de l’OIF en novembre 2022. Interrogée à cette occasion par Le Monde sur un éventuel rôle pacificateur de la Francophonie entre les deux voisins, l’ancienne ministre rwandaise des affaires étrangères (2009-2018) avait répondu : « Quand il y a des problèmes entre pays membres, on peut s’adresser aux deux. Je connais bien les deux chefs d’Etat, ils me connaissent aussi et je suis évidemment toujours disponible pour faire passer des messages. Le problème n’est pas au niveau de la Francophonie. Il est du ressort des structures sous-régionales qui s’en occupent. »

« Un mal pour un bien »

Le 18e sommet de l’OIF, en novembre 2022, avait ensuite connu un couac lorsque, sur l’île tunisienne de Djerba, le premier ministre congolais, Sama Lukonde, avait refusé de s’afficher sur la photo officielle au côté de Paul Kagame. La RDC s’était ensuite opposée à la reconduction de Louise Mushikiwabo au poste de secrétaire générale. La relation rwando-congolaise était alors déjà fortement dégradée. Un mois plus tôt, Kinshasa avait expulsé l’ambassadeur rwandais en RDC, Vincent Karega. Désigné par son gouvernement à l’ambassade du Rwanda à Bruxelles, ce dernier vient de voir son accréditation refusée par la Belgique, qui n’a pas précisé la raison de ce rejet.

Attribués en 2019 à la RDC, les neuvièmes Jeux de la francophonie auraient dû avoir lieu en 2021, quatre ans après ceux d’Abidjan. Reportés à cause de la pandémie de Covid-19, ils l’ont été une nouvelle fois parce que les infrastructures n’étaient pas prêtes. Il y a quelques semaines, des doutes subsistaient encore sur l’organisation de ces jeux « de l’espoir et de la solidarité », selon les autorités, à cause de travaux inachevés ou de retards de paiement chez plusieurs fournisseurs. En juin, des pays ont décidé de réduire leur participation ou ont carrément renoncé, comme le Québec, qui a invoqué des raisons sécuritaires et sanitaires pour ne pas envoyer de délégation à Kinshasa.

« A distance, la secrétaire générale de la Francophonie va suivre les jeux de près et espérer que tout se passe bien », déclare Oria Vande Weghe, sa porte-parole. La réussite des jeux est désormais la priorité. « Cette affaire avec la secrétaire générale de l’OIF est peut-être un mal pour un bien, constate une observatrice proche de l’organisation. Des manifestations à Kinshasa étaient prévues pour dénoncer sa venue. Sa présence aurait pu nuire à l’événement. »

Source: Le Monde