Casino : Saint-Etienne voit arriver Daniel Kretinsky avec flegme
Par Enrique Moreira
Publié le 27 juil. 2023 à 11:30 Mis à jour le 27 juil. 2023 à 12:20
« Jamais Casino ne doit quitter Saint-Etienne. » Signée Geoffroy Guichard, le fondateur de l'enseigne de distribution, l'injonction remonte au siècle dernier. « Pour lui, aller à Paris c'est se fourvoyer dans le faste de la Capitale », détaille le directeur des archives municipales de la cité des Verts, Pierre-Régis Dupuy.
Dans les rues de Saint-Etienne, l'antique débat résonne aujourd'hui alors que le sort du distributeur en grande difficulté se joue dans les beaux quartiers parisiens. Dans la ville, l'heure n'est pas aux barricades contre la prochaine arrivée de Daniel Kretinsky, l'homme qui a promis de sauver le groupe en le débarrassant du fardeau de sa dette et en remettant à plat son organisation et ses rayons.
Les enjeux du siège
« Certains sont encore dans le déni. Pour beaucoup, Casino ne peut pas couler », constate Guillaume Touminet, délégué syndical CFDT. Le nouveau slogan de l'enseigne, affiché en grand sur la façade du siège juste en face de la gare, se veut rassurant : « Casino Forever », suivi du mot-dièse #Forts & Verts.
À l'issue des dures négociations qui doivent lui permettre de mettre la main sur le groupe de Jean-Charles Naouri dans quelques mois, le milliardaire tchèque s'est de fait engagé à préserver ce lien privilégié entre la ville et le groupe. « Il est inimaginable de fermer le siège de Saint-Etienne », affirmait-il dans un entretien aux « Echos » mi-juillet. Il a également promis de conserver « l'intégrité » du groupe.
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Le premier magasin Casino a ouvert au 5 rue des jardins à Saint-Etienne en 1898, dans l'ancien Casino Lyrique de la ville, fermé pour cause de moeurs légères.Casino
« Ce sujet du siège social à Saint-Etienne s'était déjà posé quand Jean-Charles Naouri avait pris la direction du groupe (en 1998, NDLR) », rappelle Magali Daubinet-Salen, la nouvelle directrice générale des enseignes Casino, une des branches du groupe international du même nom, aux côtés de Monoprix, Franprix ou Naturalia. La dirigeante issue du sérail - elle a intégré le groupe il y a 16 ans - juge « la question légitime ». C'est ici que sont gérés les hypers et supermarchés de l'enseigne, en grande souffrance depuis de longues années et à l'origine des lourdes pertes du groupe.
« A Saint-Etienne, on a un savoir-faire, des compétences, et une vraie fidélité des employés. C'est très important dans la valeur de l'actif », estime Magali Daubinet-Salen. La moyenne d'ancienneté des salariés au siège social de Casino s'élève à 20 ans chez les cadres et 14 ans chez les employés.
Quelles fonctions au siège ?
Maintenir le siège à Saint-Etienne, Guillaume Touminet, à la CFDT, est nécessairement pour. « Mais ça veut dire quoi ? Parce que le Groupe Casino, c'est quatre grands sites », s'interroge le syndicaliste. « Sainté » accueille des services comme la comptabilité, la logistique de l'enseigne, le marketing ou encore la communication. Environ 2.500 salariés travaillent au siège, et environ 3.000 dans toute la Loire.
La centrale d'achat, elle, se trouve à Vitry-sur-Seine (94). Tandis que Monoprix et Cdiscount, deux autres entités du géant de la distribution ont aussi leur propre siège social, respectivement à Clichy-la-Garenne, près de Paris, et à Bordeaux.
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La CGT, comme la CFDT et FO, le syndicat majoritaire dans l'enseigne Casino, a demandé à pouvoir rencontrer les candidats à la reprise du groupe. En vain pour le moment. « Nous avons quand même notre mot à dire sur la partie sociale de cette affaire », estime Alain Sylèvre Tsamas, délégué syndical CGT Monoprix.
Période électorale
Malgré l'incendie qui frappe le groupe, les élus du personnel avancent en front dispersé. L'intersyndicale n'a lancé une procédure de droit d'alerte que le 12 juin dernier. « Nous sommes en année électorale pour les élus du personnel, ça ne facilite pas les échanges entre nous », reconnaît Guillaume Touminet.
Casino a pendant longtemps été l'exemple type de l'entreprise familiale, gérée de manière paternaliste par les Guichard. Dans les années 1930, une page du magazine interne « Entre nous » était consacrée aux naissances dans le groupe. « La rubrique s'appelait « Nos bébés », explique Pierre-Régis Dupuy. En 2018, l'enseigne Casino a confié l'intégralité de ses archives de 1898 jusqu'aux années 2000 aux archives municipales de la ville.
Le groupe a aussi la coutume d'être mieux disant que ses concurrents avec ses salariés. « Il y a encore 15 ou 20 ans, les accords d'entreprise signés étaient plus favorables que la convention collective », remarque Guillaume Touminet.
« Tout beau tout rose »
A cette époque-là, le chiffre d'affaires progressait fortement, facilitant le dialogue social. « Aujourd'hui, la direction ne nous dit jamais rien, les magasins sont toujours les derniers au courant. Ou alors, tout est toujours tout beau tout rose », déplore une employée d'un supermarché Casino.
Elle supporte l'AS Saint-Etienne. Le mythique club de football est né de l'Amicale des employés de la société Casino. L'employée ose le parallèle avec les Verts, dont le club serait à vendre : « Casino et l'ASSE, c'est la même chose : rien ne va, personne ne fait rien et tout le monde sourit ».
L'AS Saint-Etienne, dont l'enseigne a longtemps été le sponsor principal, est né de l'Amicale des employés de la société Casino.PHILIPPE DESMAZES/AFP
Depuis qu'elle a pris les rênes de l'entité, il y a trois mois, Magali Daubinet-Salen s'attache pourtant à organiser régulièrement des réunions dans l'amphithéâtre du siège pouvant accueillir jusqu'à 300 personnes ». Les questions des salariés y sont très diverses mais portent généralement sur la situation du groupe, comme la préservation de l'emploi à Saint-Etienne.
« Je réponds toujours la même chose, affirme Magali Daubinet-Salen. Je me suis fixé deux priorités : la préservation de l'emploi et la relance commerciale de mes enseignes. » Pour la dirigeante, « plus les équipes seront fortes dans leur domaine de compétences, plus le nouvel arrivant aura intérêt à maintenir toutes ses activités sur Saint-Etienne ».
Le soutien des élus locaux
Casino peut compter sur le soutien des élus locaux. Avec près de 10.000 emplois directs et indirects, le groupe est un poids lourd de l'économie locale. « Pour notre écosystème, Casino reste un exemple », juge Irène Breuil, à la CCI Lyon métropole Saint-Etienne Roanne.
« C'est le premier groupe à avoir créé sa propre marque distributeur et ses produits étaient faits ici », rappelle le maire de la ville Gaël Perdriau, pour qui Casino est un sujet « sensible ». Selon lui, toutes les familles stéphanoises ont un membre ou un ami qui travaille « au Casino ».
Casino a été le premier groupe de distribution à développer sa propre marque.Groupe Casino
L'édile a pris la plume, mi-juin, pour alerter Bruno Le Maire. « Je reste en contact permanent avec la direction du groupe et reste très attentif à l'avenir du groupe », écrit le maire de « Sainté » dans une lettre envoyée à Bercy. Le conseil municipal a voté dans la foulée un voeu afin de rappeler « l'attachement viscéral de la ville » à l'entreprise.
Source: Les Échos