Bangui, capitale de Wagner en Afrique

July 27, 2023
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Lors d’une manifestation prorusse, à Bangui, le 22 mars 2023. BARBARA DEBOUT / AFP

« En Centrafrique, de nouvelles forces sont arrivées, et nous contrôlons le territoire. (…) Nous ne diminuons pas notre présence, et nous sommes prêts à augmenter nos contingents. » Dans une interview diffusée, le 25 juillet, sur la chaîne prorusse Afrique Media et qui circule de téléphone en téléphone à Bangui, Evgueni Prigojine, le patron du Groupe Wagner, a lui-même tenté de couper court aux spéculations déclenchées par le mouvement compris comme le départ de centaines de ses hommes, observé dans le pays au lendemain de son éphémère rébellion en Russie, un mois plus tôt.

Ces mouvements, comme sa tentative de coup de force avortée contre le pouvoir russe, ont semé le trouble sur les rives de l’Oubangui. La République centrafricaine reste sous la menace de groupes rebelles, et la sécurité de ses dirigeants dépend largement des mercenaires de Wagner. « On a été stupéfaits. Très inquiets aussi, car la Russie nous soutient contre les terroristes de la CPC [Coalition des patriotes pour le changement, qui a tenté de renverser le président Touadéra début 2021]. Si elle venait à se retirer, les groupes armés pourraient ressurgir », reconnaît Héritier Doneng, directeur de cabinet du ministère de la jeunesse et des sports et figure de la mobilisation en faveur de la présence russe dans le pays.

« Très vite, le ministredes affaires étrangères russe nous a assuré du maintien de la coopération militaire, dit pour sa part Fidèle Gouandjika, conseiller spécial du président Touadéra. Nous avons signé un accord de défense avec la Russie, qui sous-traite aux paramilitaires, et aujourd’hui ceux-ci sont même plus nombreux qu’avant. » Des sources à Bangui s’accordent désormais à dire que les mouvements aériens constatés ces dernières semaines correspondraient à une réorganisation des forces avant le début de la saison des pluies, plutôt qu’à un départ.

Trafic de minerais

Dans les rues de Bangui, même s’ils se font plus discrets, les mercenaires – dont les effectifs sur place étaient évalués par des sources françaises, le 20 juillet, à environ 1 200 hommes – sont toujours bien présents. On les croise attablés dans les restaurants, dans les supermarchés ou essayant des baskets de seconde main. Leurs pick-up équipés de mitrailleuses font partie du paysage. « Ils semblent mieux intégrés. On rencontre plus de femmes. Certains sortent même sans masque [alors que les mercenaires ont habituellement le visage couvert] et vont jusqu’à faire des apparitions dans les soirées d’expatriés occidentaux », raconte un Français installé à Bangui.

« Ils ont fait de la Centrafrique un hub pour leurs opérations africaines, en écartant les autres acteurs internationaux, analyse une source onusienne. Ils contrôlent l’aéroport, et le pays est devenu comme un trou noir d’où leurs activités mafieuses s’étendent sans aucun contrôle. »

Depuis son arrivée dans le pays, fin 2017, le Groupe Wagner y a développé ses affaires dans le trafic de minerais, mais aussi dans le commerce de bois qui prospère, comme en témoignent les convois de grumes qui traversent la capitale sous escorte. Des grands panneaux publicitaires vantent Africa ti L’or, une nouvelle marque de bière produite localement par une société affiliée à Wagner. Son concurrent, le groupe français Castel, a vu l’usine de sa filiale locale, la Mocaf, incendiée en mars.

Après plus de cinq années de présence, le Groupe Wagner maîtrise le terrain, dispose d’hommes expérimentés et a installé son emprise sur les hautes sphères du pouvoir. « Ils sont trop bien implantés pour partir, et le gouvernement ne donne aucun signe de vouloir suivre le plan de retrait des Etats-Unis », explique un diplomate. En décembre 2022, comme Le Monde l’avait révélé, Washington avait proposé à Faustin-Archange Touadéra de former son armée et d’accroître son aide humanitaire en échange du renvoi des paramilitaires russes.

Plus de six mois plus tard et malgré les tensions en Russie entre Wagner et l’appareil étatique, le statu quo semble prévaloir en Afrique. Toujours présent en Centrafrique malgré les rumeurs sur son départ, Dmitri Syty, qui coordonne les activités civiles de Wagner sur place, est apparu dans une vidéo consacrée aux sanctions imposées le 20 juillet par le Royaume-Uni à treize personnes et entreprises associées au groupe. « Les sanctions je m’en fous ! J’en ai déjà plein et cela ne m’empêche pas de travailler », y déclare-t-il. Dmitri Syty est l’un des rares cadres de Wagner à montrer son visage. Présent depuis le début des opérations du groupe en Centrafrique, ce francophone de 34 ans avait été victime, en décembre, d’un attentat au colis piégé, dont les auteurs restent inconnus. Depuis son retour, il s’est impliqué dans l’organisation du référendum constitutionnel prévu dimanche 30 juillet. Si le oui l’emporte, le président Touadéra pourrait être réélu autant de fois qu’il le souhaite. « On va continuer (…) sous le leadership d’Evgueni Prigojine qui fait beaucoup pour les pays africains, qui défend leur souveraineté, rend leur voix plus forte et qui ne lâche jamais ses amis », promet M. Syty dans la vidéo.

Les mercenaires défendent leurs alliés, mais aussi leur position. Dans une rue de Bangui, un jeune homme sort d’un véhicule aux vitres teintées et sans plaque d’immatriculation pour distribuer des prospectus. Il ne s’agit pas d’encourager les électeurs à voter en faveur de la nouvelle Constitution, mais de rappeler la devise du Groupe Wagner, en lettres cyrilliques dorées : « Sang, honneur, justice, patrie, courage ».

Source: Le Monde